Logement : la grande tromperie des opérations de démolition-reconstruction à Épinay
Récemment encore sur demain.tv ainsi que dans ses diverses déclarations de campagne, le maire sortant se targue – sans craindre le ridicule – d’un « remarquable bilan » et se plait à discourir sur la rénovation urbaine. Au cœur de cette logique figure la démolition et la reconstruction de logements. Pourtant, sur le terrain, cette entreprise est à la fois une catastrophe pour les habitants, un immense gâchis pour la commune et une forme de détournement des politiques publiques au profit d’intérêts privés.
Sur le papier, un triomphe
L’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine) est l’agence chargée de mettre en œuvre le Programme national de rénovation urbaine (PNRU) défini par la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003, dite « loi Borloo ». La ville d’Épinay-sur-Seine et la communauté d’agglomération Plaine Commune ont signé en 2006 avec l’ANRU, une « convention de mise en œuvre du renouvellement urbain d’Épinay-sur-Seine », pour une enveloppe globale de 242 millions d’euros, dont 79 millions d’euros financés par l’Agence et le reste (soit 163 millions d’euros) par les différentes collectivités territoriales (commune, intercommunalité, mais aussi département et région).
Sur le papier, le plan était ambitieux : le projet concernait ainsi « 65 % de la population de la ville » et prévoyait « la réhabilitation de 693 logements et la construction de 817 logements sociaux neufs », ainsi que la réalisation de plusieurs équipements : « des centres socioculturels, une médiathèque ou encore une résidence pour personnes âgées ». Le bilan, quoiqu’un peu inférieur aux réalisations annoncées, reste flatteur, mais là également uniquement sur le papier. C’est ce dont se targue le maire sortant à coup d’infographies déconnectées de la réalité : 683 logements démolis et 995 reconstruits d’après l’équipe de campagne sortante, 2 écoles construites, 10 copropriétés aidées…
Sur le terrain, les problèmes subsistent
Les premiers signaux d’alarme sont venus dès les premières semaines après l’inauguration de logements. Infiltrations, malfaçons, insécurité, les habitants de logements pourtant parfois situés en Centre ville, à deux pas de la mairie, ont rapidement fait part des problèmes qu’ils rencontraient. Beaucoup de ces résidents à qui l’on avait présenté le relogement dans ces constructions neuves comme une chance ne pouvaient pas ignorer, par ailleurs, qu’ils perdaient bien souvent en surface pour un prix plus élevé, alors même que les prix de l’immobilier à Épinay n’ont pas évolué sensiblement ces dernières années, ni surtout les ressources de chacun.
Sans réelle amélioration de leurs conditions de vie, et confrontés à des loyers plus élevés, les habitants des nouveaux immeubles sont en réalité plus souvent en difficulté, et déplorent le manque d’écoute de la mairie. Pendant ce temps, les vrais problèmes, qui existaient auparavant, persistent. L’insécurité en premier lieu : rue Dumas, malgré les démolitions et les reconstructions, le trafic demeure une réalité permanente, l’espace public est quadrillé par les guetteurs, l’économie souterraine ne l’est plus depuis longtemps.
Un plan qui bénéficie aux promoteurs, pas aux Spinassiens
Les opérations de démolition-reconstruction furent la réponse principale apportée par la droite « chiraco-sarkozyste » à la « crise des banlieues ». Là où le constat était avant tout social et éducatif, la droite a décidé de faire de l’immobilier. Or ces opérations n’ont fait évoluer ni la population, ni ses difficultés. Le comité de suivi et d’évaluation de l’ANRU a lui-même remarqué dans ses rapports annuels que ces opérations n’ont agi sur le niveau social de la population qu’à la marge et n’ont absolument pas atteint les objectifs initiaux de mixité sociale. En n’agissant que sur les murs, il était difficile d’espérer mieux. Le dernier rapport du CES de l’ANRU, en 2013, souligne ainsi de façon inquiète qu’au-delà de la pure opération de BTP, « les autres objectifs du PNRU (banalisation des quartiers, mixité sociale, réduction des écarts) ne seront que partiellement atteints et ne permettront pas de changer radicalement la donne dans la majorité des quartiers.
Le géographe Christophe Guilluy décrit parfaitement le déficit conceptuel qui fonde la grande erreur de l’ANRU :
« Les opérations de démolitions-reconstructions, qui entretiennent l’illusion de faire disparaître les difficultés, n’ont qu’un impact social limité. Elles donnent parfois l’opportunité à certains maires de disperser quelques familles immigrées, souvent africaines, dans des communes ou quartiers mitoyens, mais ne traitent aucune question de fond. […] Ces opérations, souvent contestées par les habitants, représentent une forme d’apogée de la réponse politico-médiatique. Il s’agit de démontrer à l’opinion (surtout celle qui vit à l’extérieur des quartiers) que « les choses bougent » par la volonté politique. Quoi de plus médiatique qu’une démolition d’immeuble ? »
De fait, sur les 242 millions d’euros investis dans la convention, l’immense majorité a bénéficié aux firmes du bâtiment et des travaux publics qui ont accompli les travaux. La rénovation urbaine à Épinay bénéficie aux promoteurs. La vie des Spinassiens, elle, n’a pas changé. Même les équipements créés sont soit en nombre trop faible, soit non réalisés, soit sans véritable valeur ajoutée (beaucoup d’habitants, initialement séduits par l’inauguration d’une nouvelle médiathèque, regrettent pourtant aujourd’hui les collections bien plus riches de la médiathèque Mendès-France).
Un nouvel élan pour la rénovation urbaine
Pourtant, le maire d’Épinay continue de faire la promotion de cette vision dépassée, que le CES de l’ANRU lui-même invite à faire évoluer. Dans sa récente interview pour demain.tv, il remercie ainsi les Spinassiens qui selon ses propres mots « subissent » les travaux, et promet encore « 6 ans de travaux », jusqu’à la fin du prochain mandat, en 2020.
Heureusement, un autre choix est possible. Car il est possible de suivre les recommandations du CES de l’ANRU et d’adopter de nouveaux principes directeurs de l’action publique dans les quartiers. Comme le résume le site du CES :
« Plutôt que de « casser les ghettos » et de les adapter à une norme hypothétique, il faudrait miser sur les potentialités des quartiers et les atouts de leurs habitants. Il s’agit de faire en sorte que les habitants vivent mieux dans leur quartier, dont les potentialités seraient affirmées, et que ceux-ci soient mieux intégrés dans leur environnement. »
C’est là le cœur de la prochaine étape de la rénovation urbaine, que le gouvernement travaille à concevoir aujourd’hui. Et la gauche unie, à Épinay, dispose à la fois des outils d’analyse et de la connaissance du terrain nécessaires pour ne pas reproduire les graves erreurs de l’équipe sortante, et concevoir, avec les Spinassiens, un nouveau projet de ville, plus humain, apte à prendre en compte les problèmes réels des habitants, à changer la vie des Spinassiens en leur donnant l’accès à de meilleurs conditions de vie et en faisant progresser la ville dans les faits.