Silence, on massacre au Congo Brazzaville
Yves Bénot, un vieil ami aujourd’hui disparu, a écrit un instructif ouvrage qui, en son temps, n’eut pas un grand retentissement : « Massacres coloniaux » . Et pour cause. Au moment de sa parution, des massacres étaient en cours au Rwanda.
Il y répertorie, en une courte séquence de violences, toutes les actions militaires françaises (entre 1944 et 1950) qui n’eurent d’autre objectif que l’extinction brutale des revendications anticoloniales : Sétif (1945), Haiphong (1946), Madagascar et Casablanca (1947), et Côte-d’Ivoire (1949-1950). Et sa publication porte un sous-titre suggestif : « la mise au pas des colonies ».
Mais que signifie donc « mettre au pas » ? L’expression composée signifie « contraindre à obéir » et, si nécessaire, par la force. Elle veut également dire « exercer son pouvoir sur une personne ou un groupe d’individus, pour l’obliger à se comporter comme on l’entend ».
Au fond, la « mise au pas » est une technique et un mode de gouvernance, qui ne s’appuie que sur la force et la brutalité. Elle n’entre pas dans la catégorie de la « bonne gouvernance ».
Mais, sans doute faut-il le préciser ici, en Afrique, et en Afrique noire plus particulièrement, la « mise au pas » des populations par certains appareils d’État postcoloniaux (armées, police, gendarmerie et milices) est un triple héritage de l’esclavage, de la traite négrière et de la colonisation.
Ainsi, un nombre non négligeable d’États ont assimilé ces méthodes d’un autre âge, par exemple, celui du Congo Brazzaville. Les massacres dans le Pool (Congo Brazzaville) en sont une éclairante illustration.
En effet, il y a, en ce moment même, des massacres de type colonial en cours dans le département du Pool, situé dans le sud du Congo Brazzaville, dont la capitale est Kinkala, et qui compte 240.000 habitants répartis sur une superficie de 33 955 km².
Silence, le tyran de Brazzaville massacre. Et comme une nouvelle fois l’entreprise criminelle ne vise qu’un groupe de populations, la qualification de génocide sera évoquée, si rien ne s’arrête sur le champ.
En vérité, ces massacres ne sont que la suite immédiate des grotesques consultations du 20 mars 2016, qui n’eurent même pas la décence de revêtir l’apparence d’élections « acceptables ». L’Union Européenne a eu une bonne intuition, en refusant d’y apporter son concours. Le tyran fraude, il fait établir, de façon ouverte, un huis clos électoral, il demande et obtient la falsification des résultats, il « met au pas » la Cour constitutionnelle, brusque son calendrier de l’examen des réclamations et, point d’orgue, il somme cette institution de valider la menterie de la CNEI. Et qui n’est pas content, au mieux se fait bastonner et emprisonner ou, pire, s’il proteste se fait massacrer.
Toute la panoplie de la répression de type colonial est déployée : bombardements par des moyens aériens (hélicoptères et ULM), terreur par l’emploi de l’artillerie et de troupes au sol (véhicules blindés, canons, RPG, kalachnikovs, etc.). Et, comment s’en étonner, tout cela est mené « au pas de charge ».
Pauvre région du Pool. Une nouvelle fois victime et meurtrie. Bien étrangement, il y a trois semaines, invité à déjeuner avec quelques cadres Congolais, l’un d’entre eux rapporta devant tous les hôtes combien et comment Denis Sassou Nguesso lui dit un jour ceci « jamais je ne pardonnerais aux populations du Pool leur prise de position dans la guerre civile de 1997 ». Ce qui s’y déroule a-t-il été prémédité ?
Silence, on massacre. Et, par un bizarre phénomène, le vacarme des armes qui fauchent des populations désarmées n’éclatent pas suffisamment fort aux oreilles des journalistes de la presse française. Seuls Libération et Le Monde Afrique ont envisagé le pire. Quant au Quai d’Orsay, il ne semble pas avoir pris l’exacte mesure du drame qui est en cours dans le Pool. Et pour lors, le Palais de l’Élysée est muet. Quand donc se fendra-t-il d’un communiqué appelant au moins à l’arrêt des massacres ?
Le Parti socialiste français (PS) proteste. Le Front National (FN) a condamné la nature même du régime de Brazzaville et déclaré que l’élection présidentielle n’était pas une élection. Faut-il s’étonner que ce parti engrange de plus en plus de voix dans les milieux noirs africains de France ? Les Républicains (LR) sont aux abonnés absents. Pourtant, leur légendaire proximité avec le tyran de Brazzaville aurait pu et dû les amener à calmer ses ardeurs répressives. Rien. Les Républicains n’entendent rien des clameurs et des lamentations qui montent.
Mais ne pas vouloir entendre, s’obstiner à refuser de voir, n’est-ce pas cela qui s’appelle cautionner ? En matière de politique étrangère française, tous les tyrans n’ont pas droit au même traitement. Le tyran de Brazzaville a hérité de cette triple tradition (esclavagiste, commerciale et coloniale) de massacres des populations noires aspirant à plus de libertés et de dignité.
Dans un propos d’une brulante actualité et prononcé lors du deuxième Symposium international Amilcar Cabral (2004), brossant la situation de l’Afrique confrontée à la globalisation, Mario Soares , en vint à dresser le portrait d’un type de dirigeants africains qui, manifestement, n’aiment pas leurs populations :
« Le continent africain a été particulièrement atteint par la globalisation, dit-il. Au-delà des conflits ethniques, de l’expansion des fondamentalismes religieux – spécialement l’islamique mais aussi le christianisme évangélique – des pandémies, comme le sida, et de la corruption des dirigeants qui ont perdu le sentiment du service public et la sensibilité [fibre] sociale, en relation à la misère des autres, la globalisation a contribué à l’augmentation de l’exploitation de l’Afrique – de ses richesses – par les grandes multinationales… ».
Ainsi, tout un pays est « mis au pas », sous les yeux de tous.