Ségolène Royal : merci pour cette proposition
Depuis mai 2012, et après toute une kyrielle de mesures fiscales prises par le gouvernement socialiste, enfin, oui enfin, Ségolène Royal fait l’annonce d’une double proposition inédite : « péage gratuit le week-end » pour tous les usages (automobilistes et motards) et une baisse de 10% des tarifs de péage. Bravo, et merci pour cette proposition.
Depuis la privatisation des autoroutes (2002, 2004 et 2006), les sociétés de gestion des infrastructures routières ont accumulé d’énormes profits, avec un seuil de rentabilité qui atteint à présent près de 25% annuel, ce qui représente un taux de profit bien plus élevé que celui des spéculations boursières (10 à 12%) vers lesquels s’orientent volontiers le marché des capitaux, au détriment des investissements dans les industries et les entreprises.
Les journaux Libération, Les Échos, La Haute Marne, La Montagne, La République des Pyrénées, La Nouvelle République du Centre-Ouest, L’Est républicain, La Charente Libre, etc., aux noms qui renvoient à la liberté et à l’égalité, se sont dressés comme un seul homme face à cette femme audacieuse. C’est qu’aujourd’hui l’audace, si chère à Danton, inquiète. Mais les railleries de ces quotidiens, devenus que les porte-flingues des milieux d’affaires, sont plutôt bon signe.
Alors, Ségolène Royal, ne vous laissez pas impressionner par les analyses de Libération. Votre proposition sur la gratuité est universelle, car elle ne concerne pas que les familles françaises les plus modestes et les plus pauvres. Mais bien tous les usagers des autoroutes en fin de semaine, quelle que soit leur type ou le modèle de véhicules, haut ou bas de gamme. Ce qui manifestement frustre Libération, c’est que les classes moyennes et les classes pauvres en soient les premières bénéficiaires.
Tenez bon. Si vous n’y renoncez pas, cette proposition permettra à nombre de familles françaises qui, en raison de la crise financière dont elles ne sont pas à l’origine, et qui sont contraintes d’organiser des séjours (de vacances ou de découvertes) de plus en plus courts (2 à 4 jours), de pouvoir quitter les grandes villes ou les banlieues pour y gagner en espace de liberté et en repos. Le tourisme intérieur, qui gagne des parts de marché, devrait mieux s’en porter. La consommation des ménages, un des principaux moteurs de la croissance, devrait être confortée, par cette proposition. Car ce que les usagers français ne paieront pas aux sociétés autoroutières, ils les dépenseront dans d’autres secteurs. Au fond, si une telle proposition était adoptée, outre qu’elle soit utile et « nécessaire », elle ne mettrait nullement en péril les comptes de résultats nets des sociétés autoroutières. Il s’en faudrait même de beaucoup. Les 18 milliards d’investissement en 10 ans (pour l’entretien, la valorisation, la création de nouveaux axes, etc.) faits par l’ASFA ne constituent, en aucun cas, un risque. Ce sont des investissements dont la rentabilité est assurée d’avance par une exploitation juteuse des tarifs.
L’argument facile selon lequel cette proposition « brouille » la politique écologique du gouvernement montre d’évidentes limites. En effet, en quoi la suppression de l’écotaxe est-elle incompatible avec la gratuité des autoroutes qu’en fin de semaine ? Pourquoi préjuger d’une invasion des autoroutes, avec une élévation du niveau de pollution ? La cohorte de journalistes si prompte à se ruer sur la Ministre de l’Écologie seraient bien inspirés de lire les « programmes verts » de l’Association des Sociétés Françaises d’Autoroutes et d’ouvrages à péages (ASFA), dont les principaux axes sont la protection de la ressource en eau, la préservation de biodiversité, le dispositif antibruit, l’éco-rénovation des aires et la réduction de CO2. Car rien n’interdit le renforcement de ces « programmes verts », par l’une des autres mesures phares, la promotion des véhicules propres, enjeu majeur du siècle.
Ségolène Royal, ne reculez pas. Tenez ferme ! Il y a vingt-deux sociétés d’autoroutes, dont les plus grandes sont Eiffage, Vinci et Abertis. Elles se sont réunies au sein de l’ASFA. Et ce n’est pas être contre elles, que leur demander une petite réduction de leurs marges, dans le triple but de ne pas alourdir la fiscalité sur les véhicules lourds, de faciliter les déplacements des vacanciers du week-end, de sécuriser la circulation routière et surtout pour éviter les risques de colère sociale.
De même, baisser de 10% les tarifs de péage, pour compenser l’abandon de l’écotaxe n’affaiblira pas l’ASFA. Longtemps encore, les concessions (délégation de service public) qui exploitent 7900 sur 9000 kilomètres d’autoroutes resteront avantageuses.
Somme toute, la proposition de Ségolène Royal, qui relève du « bon sens », est un signal de la présence de l’État comme organe d’équilibre politique et d’équité sociale.
C’est, croyons-nous, depuis deux ans, un des premiers messages de gauche adressé aux Français, afin qu’ils ne désespèrent pas de François Hollande. C’est pourquoi Ségolène Royal fait l’objet d’attaques si violentes. Nos « brillants » analystes ont bien compris la portée tactique et le sens politique de sa proposition. Il y a, en elle, l’esquisse d’un rééquilibrage. Que Ségolène Royal tienne donc bon ! Car quelle signification politique et historique aurait ce quinquennat, déjà fortement fragilisé, s’il n’aura finalement servi qu’à affaiblir les pauvres ? Comment, sous la gauche, les pauvres devraient-ils encore perdre en pouvoir d’achat et voir leur niveau de vie se dégrader ?
Au reste, pour la gauche, il ne sert à rien de faire une politique de droite. Elle perdra forcément. Comme la droite s’est perdue à suivre l’extrême-droite. Parce que poursuivre, c’est toujours d’abord suivre. La leçon est évidente.
Manuel Valls, qui aime tant les entreprises, et nul ne peut le lui reprocher, se trompe cependant sur les sociétés autoroutières. Elles ne mourront pas, de l’effort qui leur serait demandé. Tout au contraire. Voyez-vous François Sergent, votre éditorial (Libération du 15 octobre 2014) évoque une « sortie de route » de Ségolène Royal. Votre image qui emprunte au vocabulaire routier est, à l’évidence, une exagération mais surtout une erreur. En vérité, sa proposition est l’amorce même d’une entrée dans l’autoroute. Enfin ! Et ne vous en déplaise.