Que disent les mornas ?
Poème à lire sur fond musical de « Rapsódia de Mornas » du guitariste capverdien Humbertona.
À Lucette, la sœur aînée
Que disent les Mornas,
Lorsque sur le bleu des sodades ondulées,
Comme pour épouser l’évanescente fiancée du Temps,
Vont solitaires les barques du Souvenir ?
Elles susurrent dans l’Ouvert souriant des sillons
Les mots longs et pénibles des pas lents de l’Absence
Que déchirent en silence les violons tristes de l’Étreinte,
Tandis que sur les grèves d’adieux se fouettent
Des au revoir de mouchoirs blancs
Ondulant d’éternels souvenirs.
Alors, pareilles aux lentes monodies des vents qui passent,
Les Mornas chantent le cruel Amour de Loin,
D’Oltramar, le Chemin de loin, destin qui sépare
Les Hespérides calcinées des ports du monde,
D’où les troubadours, aux ailes des Alizés fidèles,
Content et confient leurs promesses multiples de retour.
Et comme reviennent intactes les barques heureuses du souvenir,
Que ramènent les Mornas, quand, sur les vérandas de patience,
Les Mor-è-nas aux yeux surréellement épuisés
Scrutent leur Rivale au voile nuptial
De nuages tombant sur la ligne jamais déflorée ?
Les dames brunes voient, ô spectacle unique,
L’énigme poétique se résoudre dans la beauté,
Car le lointain s’est converti en proche
Dans la Sodade qui ramène les Mornas.
Sur le vocabulaire capverdien
En sa signification essentielle, Sodade est non pas nostalgie, « nostos-algos », retour-de-la-douleur, mais d’abord et essentiellement Souvenir. La Nostalgie, elle, est un des états affectifs de la Mémoire.
Et, contre toutes les affirmations admises jusqu’ici, la Sodade capverdienne précède historiquement la Saudade portugaise. L’inverse est une contre-vérité.
La Morna, en tant que Musique, c’est-à-dire comme « art-des-Muses », est la forme majeure d’expression poétique du Souvenir.
Les Morènas sont les jeunes filles au teint de bronze, parfois appelées « Moréninhas ».