Présidentielles 2017 : Macron, une victoire en demi-teinte
La présidentielle française s’achève, par une victoire… contre Marine Le Pen. Et Emmanuel Macron, élu avec 66,10% des suffrages exprimés », ne paraît l’être qu’à moitié ; d’où un étrange sentiment républicain au lendemain de ce qui, en définitive, ne restera que comme un sursaut anti-frontiste.
Un Président faible, qui ne pourra pleinement incarner tout le Titre II des articles 5 à 19 de la Constitution, par lequel se définit les prérogatives d’un Président de la République fort ; un Titre II taillé sur mesure pour le général Charles de Gaulle, après la tentative de coup d’État du 13 mai 1958 démarré à Alger, poursuivi en Corse et qui devait se finaliser à Paris.
Un Président faible, auquel il semble bien difficile, aujourd’hui, de disposer d’une majorité parlementaire cohérente, homogène et solide le mois prochain, lors des législatives 2017.
La concomitance de ces trois affaiblissements (électoral, constitutionnel et parlementaire) autorise à dire d’ores et déjà, c’est-à-dire avant même sa prise de fonction et le début de son mandat, qu’Emmanuel Macron est le plus faible et le plus fragile Président de la 5ème République.
Cette fragilité (provisoire ou durable) l’oblige à envisager une gouvernance par « ordonnance », comme Manuel Valls dut se résoudre à l’usage abusif du 49-3. Mais toute la difficulté de ce type de gouvernance tient au fait que cette prérogative présidentielle présuppose un auto-dessaisissement de l’Assemblée nationale qui, pour un temps limité, délègue certains de ses pouvoirs au Président de la République. L’Assemblée législative qui sortira des élections de juin 2017 le fera-t-elle ? Rien n’est moins sûr, si elle est de gauche ou de droite. C’est pourquoi, anticipant ce risque, le nouveau Président a été conduit à renoncer à l’un de ses grands engagements : tout député de sa majorité parlementaire pourra rester et appartenir à un parti autre que le mouvement En Marche.
C’est à nouveau la méthode du fourre-tout ou le bric et le broc, dont Emmanuel Macron a fait une spécialité (voir la Loi Macron et le mouvement En marche) et que nous ne cessons de dénoncer depuis deux ans.
Pour bien comprendre ce qui vient d’être dit, revenons au second tour de la présidentielle. Un indicateur, plus que tout autre, ne trompe guère : la structure (ventilation) des votes du 7 mai 2017, de laquelle le vainqueur ressort comme un Président « faible », d’abord au plan électoral (poids et agrégat des votes), ensuite au sens constitutionnel de l’adjectif.
En effet, les 66,10% des « suffrages exprimés » en faveur du nouveau Président de la République sont triplement grevés ou pondérés. En premier lieu, par une très forte abstention, qui s’est amplifiée entre le premier et le second tour, passant de 22,23% d’abstention, soit 10.577.272, à 25,44% d’abstention, soit 12.101.416, ce qui équivaut à une augmentation de 2,21%. En deuxième lieu, par le « vote blanc » qui, de 1,78%, soit 659.302 bulletins au premier tour, est passé à 8,51%, soit 3.019.735 bulletins, un taux record et inédit, puisque multiplié par quatre.
Mais au phénomène des bulletins blancs, il faut ajouter le vote nul qui, de à 0,77%, soit 285.431 de voix au premier tour, est passé, au second tour, à 2,96%, soit 1.049.522 de voix.
Au total, le cumulé des votes blancs et nuls est passé de 2,55% au premier tour à 11,47% au second tour, une multiplication par cinq. C’est la première fois, sous la 5ème République qu’un tel niveau est atteint.
Au reste, la participation qui, au 1er tour, était de 77,77% a baissé à 74,56%, soit un recul de 3,21%. Somme toute, entre les deux tours, les votes exprimés ont fléchi de 75,78% à 66,01%, soit une baisse totale de 14% de suffrages exprimés.
L’ensemble des considérations précédentes conduisent à très fortement relativiser la victoire d’Emmanuel Macron, qui n’est que la défaite du Front National, dont l’audience politique s’est accrue d’un tiers du corps électoral français. Incroyable !
Par maints côtés, seule la Présidentielle de 1969 reste quelque peu comparable à celle de 2017 : un effondrement du bloc socialiste, avec la cuisante défaite des deux ancêtres du Parti socialiste (G. Deferre – P. Mendès France, SFIO, à 5,01%, et Michel Rocard, PSU, à 3,61%, soit un total socialiste de 8,62%). Un Parti communiste à 21% dont le candidat Jacques Duclos (3ème au premier tour) qui, au second tour, prôna l’abstention, portant par cette consigne l’abstention de 22,41% au premier tour à 31,15% au second tour ; et ce qui n’est pas sans rappeler et explique la posture de Jean-Luc Mélenchon.
En somme, dans un contexte particulier parce que très fortement marqué par la présence de l’extrême-droite, les tracasseries judiciaires de François Fillon, le déchaînement de la puissance médiatique en faveur d’Emmanuel Macron, tous les grands appuis internationaux (Barack Obama, Angela Merkel, Teresa May, etc.), les 66,10% d’Emmanuel Macron ne retentissent pas comme un plébiscite. Le triomphalisme affiché par François Hollande ressemble bien à un trait d’humour. La structuration des votes du 7 mai 2017 invite à plus de modestie.
Le mois de juin 2017 est donc capital. Première reculade de taille : Emmanuel Macron admet à demi-mot que les partis traditionnels ne vont pas disparaître, du fait de son élection à la Présidence de la République. Deuxième reculade de taille : les députés de sa très improbable majorité présidentielle pourraient avoir une double appartenance politique : celle de leur parti d’origine et celle du mouvement En Marche. Et cette position tangue au jour le jour.
Hétéroclite. Fourre-tout parlementaire. Bric et broc législatif ! Nous sommes donc au cœur d’une élection sans victoire grande et nette.
Marx, qui connaissait bien l’esprit du peuple français, enseignait comment les Français savaient user leur classe politique, pour rester maître de sa destinée. Aristote n’avait pas tort de dire, il y a plus de 2 600 ans, qu’en démocratie, c’est l’opinion du peuple qui dit ce qui est (le) juste.