Point de vue sur « Merci pour ce moment »
Record littéraire de vente ! Plus d’un en parlent. Bien peu l’ont cependant parcouru. Je viens de terminer la lecture d’un immense succès de librairie : Merci pour ce moment , de Valérie Trierweiler. L’ouvrage, dénigré et décrié, parce qu’il brise la sacro-sainte séparation française entre vie privée et vie publique, emprunte beaucoup à la tragédie grecque, par son intrigue, sa structure, sa trame et le dénouement. L’intrigue : une femme humiliée, congédiée et en colère achève le héros qu’elle dit avoir trop aimé, un homme fort de faiblesses humaines, prisonnier de la « concupiscence de la chair. La volupté » (Saint Augustin) et roi du double discours, de l’ambiguïté et du mensonge permanent. La matière eût sans aucun doute plu à Euripide. La structure fondamentale : un face-à-face entre, d’un côté, trois acteurs : François, le protagoniste (premier acteur), Valérie, la deutéragoniste (deuxième acteur) et Ségolène, la titragoniste (troisième acteur), et, de l’autre côté, le chœur formé par l’entourage présidentiel du palais de l’Élysée, les médias et le peuple. La trame : la reconnaissance (découverte des personnages), les péripéties (retournements imprévus de situations, ironie tragique) et la catharsis (purgation). Le dénouement : François rejeté.
Le succès du livre, pensons-nous, pour l’essentiel, tient à cet agencement théâtral, à sa dimension dramatique, et au contexte de crise de l’institution présidentielle, et non pas à son caractère scandaleux ni non plus à ses révélations. Il en ira tout autrement de la parution prochaine du livre incendiaire d’Aquilino Morelle, ex-conseiller spécial du président François Hollande, qui ne vise que le sensationnel et tambourine sa menace. Valérie Trierweiler dit autre chose. Au reste, reprenant la célèbre réplique de Lucrèce à Don Alphonso, elle indique, en dernière page, qu’il s’agit d’une tragédie : « Vous avez laissé le peuple se railler de moi, vous l’avez laissé m’insulter, qui épouse protège ». La tragédie, conclut Valérie Trierweiler, est éternelle » .
Toutefois, si tout ce qui y est dit « est vrai », comme l’affirme son auteur, sur la couverture et en dernière page, une question me vient à l’esprit : est-il seulement possible que deux êtres se soient aimés, sans jamais comprendre ce que « aimer » veut dire ? Peut-être qu’une ambiguïté sur le sens du mot est-elle à l’origine des malentendus entre Valérie et François. Alors, en guise d’exodos (fin de la tragédie et sortie du chœur), qu’il me soit ici permis de laisser Platon faire parler Diotime, le coryphée (chef du chœur), sur l’un des sujets les plus difficiles à déclamer : l’Amour. Qu’est-ce donc que cela ?
Diotime : Étant fils de Poros et de Pénia, l’Amour en a reçu certains caractères en partage. D’abord il est toujours pauvre, et, loin d’être délicat et beau comme on se l’imagine généralement, il est dur, sec, sans souliers, sans domicile ; sans avoir jamais d’autre lit que la terre, sans couverture, il dort en plein air, près des portes et dans les rues ; il tient de sa mère, et l’indigence est son éternelle compagne. D’un autre côté, suivant le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon ; il est brave, résolu, ardent, excellent chasseur, artisan de ruses toujours nouvelles, amateur de science, plein de ressources, passant sa vie à philosopher, habile sorcier, magicien et sophiste. Il n’est par nature ni immortel ni mortel ; mais dans la même journée, tantôt il est florissant et plein de vie, tant qu’il est dans l’abondance, tantôt il meurt, puis renaît, grâce au naturel qu’il tient de son père. Ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse, de sorte qu’il n’est jamais ni dans l’indigence ni dans l’opulence, et qu’il tient de même le milieu entre la science et l’ignorance…(Platon, Le Banquet, Flammarion, Paris, 1992, pp. 71 – 72.)