Mario Soares : un ami des peuples d’Afrique
L’homme fut un sage, comme peu d’hommes savent l’être en politique. Aristote parlerait de sagacité ou de prudence, dans les affaires publiques. Et sans doute Bossuet eût-il vu en lui un modèle de vertu. Comme La Bruyère, Mario Soares aurait pu s’écrier : « Je suis peuple » !
Mario Soares est mort, après une longue vie de combats démocratiques, en vue de la République et pour une société plus juste. Il aura toujours été attentif au sort des plus pauvres et à la Liberté. Aussi prêchait-il un socialisme porté par l’État-providence et non pas une molle social-démocratie soumise au marché et au Capital, qui accable les plus faibles.
Le souvenir public gardera de lui l’image fixe d’un grand émancipateur du grand peuple portugais. Avec les audacieux officiers militaires qui mirent fin à la guerre coloniale, il restera dans l’histoire comme l’un des pères fondateurs de la Deuxième République portugaise.
« L’attention est la pointe de l’âme » dit une formule. Mario Soares aura toujours été attentif au sort des peuples africains. Et cet aspect de son âme le distingue radicalement de maints dirigeants européens et surtout français.
Et pour mettre en exergue cette qualité éthique de Mario Soares, qu’il me soit permis de rappeler sa critique morale de nombreux chefs d’État africains.
François Mitterrand et Mario Soares adulaient Amilcar Cabral, dont ils vanteront constamment les qualités morales, l’énergie politique, la culture personnelle et l’intelligence. C’est leur point de départ critique des dirigeants africains.
Mario Soares se sentira quelque peu comptable de l’héritage de Cabral. Aussi consacrera-t-il une partie de ses activités à recueillir et à faire numériser tous les écrits disponibles de Cabral, les préservant ainsi de la destruction et de la négligence. Dans la même veine d’idées, il n’est pas étonnant qu’il ait choisi le Symposium international Amilcar Cabral, pour fustiger le comportement irresponsable de certains chefs d’État africains qui enfoncent délibérément leur peuple dans la misère. Son propos vaut comme son testament politique et une attention marquée à l’endroit de l’Afrique des peuples.
Ainsi, en 2004, à Praia, capitale de Cabo Verde (Cap Vert), lors de sa communication intitulée Amilcar Cabral : une pensée actuelle, il déclarait sans fioritures :
« Quarante ans après le grand mouvement émancipateur des décolonisations, l’Afrique, libérée du colonialisme traditionnel et de l’apartheid, totalement indépendante, en termes formels, apparaît comme un Continent à la dérive. C’est une réalité que les dirigeants africains ne doivent ni ne peuvent ignorer et qui a plusieurs explications. »
Et sans ménagement ou hypocrisie politique, Mario Soares invitera les dirigeants africains à ouvrir grands leurs yeux sur les accablantes réalités africaines : un continent à la dérive et des dirigeants inconséquents dans une Afrique dont il dresse l’affligeant tableau.
S’inspirant ouvertement de l’exemple de Cabral, Mário Soares invite les dirigeants africains à une évaluation critique de leur activité. Et, après avoir rappelé le fameux mot d’ordre de Cabral sur l’autonomie de la pensée des combattants de la liberté, « penser par nos propres têtes et partir de ses propres expériences », il ajoute : « Quatre décades après le grand mouvement de décolonisation, les dirigeants africains doivent faire une réflexion critique sur le chemin parcouru depuis le point de départ, en trouvant des formes adéquates pour qu’ils résistent, avec succès, aux formes nouvelles d’exploitation coloniale, dont ils continuent à être victimes ».
Mieux encore, cet appel n’est pas allé sans le rappel des grands défis auxquels l’Afrique postcoloniale est confrontée :
« Le continent africain a été particulièrement atteint par la globalisation. Au-delà des conflits ethniques, de l’expansion des fondamentalismes religieux – spécialement islamique mais aussi le christianisme évangélique – des pandémies, comme le sida, et de la corruption des dirigeants qui ont perdu le sentiment du service public et la sensibilité [fibre] sociale, en relation à la misère des autres, la globalisation a contribué à l’augmentation de l’exploitation de l’Afrique – de ses richesses – par les grandes multinationales… »
Avec la mort de Mario Soares, les peuples d’Afrique perdent un de ses grands défenseurs. Puisse le Portugal ne pas l’oublier et l’Afrique garder mémoire fidèle, si elle ne peut tenir le Souvenir.