La loi Macron, l’erreur de M. Valls
Même social-libéral, était-il nécessaire de présenter une loi « pot-pourri », de facture ultra-libérale, et ce, un mois après le 11 Janvier, juste avant les élections départementales (mars), à trois mois du congrès socialiste (juin) et à neuf mois des élections régionales (décembre) ? Quelle urgence ou impératif économique commandait une telle prise de risque gouvernementale, pour un projet de loi si composite et tant bigarrée ? Rien, si ce n’est le « gros cœur ».
En tous les cas, cette initiative est d’autant plus absurde voire incompréhensible, qu’elle a été engagée au moment même où l’UMP est fragilisée par ses conflits internes (Sarkozy/Juppé/Fillon), secouée par l’affaire Bygmalion, ballotée par l’effet de siphon électoral opéré par le Rassemblement Bleu Marine et désemparée par la tartufferie de Stéphane Tiki. L’UMP y a trouvé un motif de regain politique.
Que l’on nous explique donc le lien entre les 295 dispositions de la Loi Macron ? Par exemple, quel rapport entre les réformettes sur les Transports (trafic interurbain) et la réforme sur les professions du Droit (déréglementation et tarification des actes) ? Est-ce la réduction des coûts ? Il eût alors mieux valu une loi sur le contrôle des prix. Mais ce serait pencher à gauche, pour un ultra-libéral. Quel rapport encore entre le permis de conduire (facilitation) et les licenciements collectifs (précarisation) ? Si notre ministre-philosophe s’était seulement souvenu de la Table des douze catégories d’Aristote, sans doute se serait-il rappelé de la catégorie de « Relation », qui engage à établir les liens entre les idées, entre les choses et entre les idées et les choses.
C’est que vous établissez et partez, monsieur Macron, d’un diagnostic erroné. Vous diagnostiquez trois « maladies » qui affecteraient la France : la « défiance » (pessimisme), la « complexité » (lourdeurs administratives) et les « corporatismes ». C’est un diagnostic ultra-libéral, et non de gauche. Tel est le quiproquo qui mine votre projet de loi et que personne ne pourra déminer. Le ver est dans le fruit. Et il le ronge activement.
Au fond, et malgré son intitulé, cette loi « pot-pourri » n’a pas de fil conducteur. Elle est une infraction au Bon sens, une inutile provocation à la raison naturelle. Aristote, qui a inventé la taxinomie (règles du bon classement), eût trouvé étonnant ce méli-mélo législatif. Ce texte, libéral dans son essence, hétéroclite dans son agencement, inutile quant à son efficacité, futile dans sa gestion, est en outre très risqué au plan politique.
Au reste, la Loi Macron a déjà tué le gouvernement Valls II. Les mois qui viennent seront ceux de la décomposition et des tensions. Dès à présent, Manuel Valls peut écrire sur les murs du Palais Bourbon : « Macron m’a tuer » (sic).
Ce qui heurte dans la Loi Macron, c’est sa forme, sa présentation. Tout d’abord, son aspect fourre-tout qui repose sur une grande erreur taxinomique. Elle est une méprise de classement, d’où l’éveil d’un doute légitime. En effet, puisque personne ne peut raisonnablement admettre un pareil pot-pourri législatif, il s’est créé « sponte sue » une suspicion progressive qui est devenue générale. Sous la roche, chacun cherchait l’anguille. Tous prétendent l’avoir trouvée. Ainsi, les uns (Frondeurs) y voient une nouvelle réduction du pouvoir d’achat des Français et l’abandon définitif des engagements du candidat François Hollande. Les autres (Front de Gauche) y discernent un « coup de Jarnac » visant le jarret de la gauche, avec une mort certaine. D’autres encore, Les Verts, n’y décèlent aucune mesure écologique. La Droite (UMP, UDI, etc.) lit dans ce grand catalogue une aubaine pour son improbable régénération. L’extrême-droite, à l’affût, bondit sur la belle occasion. Et voilà comment, par un stupide entêtement, on transforme en chaos politique un très banal projet de loi donnée comme utile voire capital pour « déverrouiller » la France.
En conséquence de quoi, dans son élaboration (intention, conception, rédaction et présentation) la Loi Macron est une erreur scientifique de classement. Et Emmanuel Macron, le ministre-philosophe, aurait dû se souvenir des travaux d’Aristote.
Ensuite, et toujours sur les questions de forme, la Loi Macron est conduite avec force et procède par menaces ouvertes. Mais quel député, fut-il socialiste, quel député qui, au même moment où il est élu devient de facto un représentant de la Nation (suppression du mandat impératif), quel député disons-nous admettra d’être mené à la baguette ? Il y a là une grossière faute de management du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Chacun ici se souviendra que, dans De l’Esprit des Lois, Montesquieu démontre que la « crainte » est le principe du despotisme. En outre, tenant compte du calendrier électoral qui s’annonce très difficile pour la gauche, comment ne pas comprendre que de plus en plus de députés de gauche refusent d’être des godillots ? Et plus encore depuis le 11 Janvier. En effet, si la défaite est en perspective, pourquoi faire la politique libérale de ses adversaires de l’UMP ? Les socialistes ont perdu l’adhésion des classes populaires et s’évertuent, contre toute raison, à s’éloigner des classes moyennes ? C’est pure folie, qui menace d’un péril politique toute la gauche et dont le Front National et sa dendrite, Le Rassemblement Bleu marine, sont les principaux bénéficiaires.
Enfin, dernière considération sur les questions de forme, il y a le langage agressif, le ton querelleur et l’autoritarisme du Premier ministre, relayés par le porte-parole du Gouvernement et le président du Groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Or, ce type de langage et ce ton ne peuvent que révulser l’esprit républicain et choquer la conscience démocratique. D’autant que personne n’effraie plus personne, passé un mi-mandat.
Pour le Premier ministre, il ne sert donc à rien de froncer les sourcils, d’élever la voix, de tendre le menton et d’agiter les mains, quand on gouverne, en démocratie représentative. Il ne sert à rien de menacer d’exclusion, car les « purges politiques » sont une vieille recette, surtout pour ceux qui parlent de modernité ou de modernisme. Messieurs les « Modernes », il faut convaincre les « Anciens », à l’aide d’arguments pertinents et savoir garder patience, si vous êtes convaincus d’avoir avec vous la vérité. L’adoption forcée de la Loi Macron par l’article 49.3 de la Constitution causera bien plus de dommages que d’avantages.
En pareille circonstance, monsieur le Premier ministre serait bien inspiré de méditer un célèbre proverbe ivoirien : « Gros cœur ne mange pas du riz chaud ». En effet, ce qui est bon (le riz chaud), on ne l’obtient pas par la force ou l’esprit de vengeance (le gros cœur) mais par la patience (la cuisson, la préparation).
Lors d’un article précédent, faisant un peu de philosophie politique, nous nous permîmes de convier Manuel Valls à se prévaloir des principes et à établir des usages conforment au Bon gouvernement. Chose qui, manifestement, paraît bien difficile. Alors, usons d’un langage imagé, d’un second proverbe ivoirien sans doute plus accessible : « L’oiseau ne fait jamais palabre avec l’arbre, car il finit toujours par s’y poser ». Oui, monsieur le Premier ministre, c’est avec toute la gauche que vous accomplirez des prodiges, jamais contre elle !