Les trois « Europe » : entre Merkel et Tsipras
Il y a bien, désormais, trois « Europe » : l’Europe de la Commission européenne, qui est celle des marchés financiers ou du Traité de Maastricht. Elle est promue par Angela Merkel, François Hollande, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, etc. Cette Europe-là est en crise de légitimité. Ensuite, l’Europe des nations prônée par Marine Le Pen et toutes les extrême-droites xénophobes du continent. Cette Europe réalise d’inquiétantes progressions. Enfin, l’Europe des peuples qui vient de prendre corps par la Grèce, avec les deux victoires successives du parti « Syriza » (législatives) et d’Aléxis Tsípras (référendum). Les victoires de Podemos et de Pablo Iglesias Turrión vont la consolider.
Une confrontation vient d’être engagée entre L’Europe de la Commission européenne et l’Europe des peuples, personnifiée par la chancelière Angela Merkel et le premier ministre Aléxis Tsípras.
« Selon que vous serez puissant ou misérable… »
Dans cette opposition, ce qui d’abord frappe, c’est de constater que, jusqu’ici, aucun des leaders de L’Europe de la Commission européenne n’a formulé la moindre critique des États-Unis qui ont été à l’origine des trois dernières grandes crises (subprimes, financière et des liquidités) entre 2008 et 2011. Alors même qu’ils sont tous si prompts à morigéner la Grèce, jusqu’à l’affront. Chacun de nous se souvient du mot si juste de Jean de la Fontaine : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir ». Et dans cette fable fameuse, parce que fort, le Lion, malgré tous ses crimes fut loué, quand l’Âne, faible et affamé, fut mis à mort pour avoir osé manger « l’herbe tendre » du pré.
C’est pourquoi, il y aura toujours une sorte d’injustice et quelque chose d’insupportable à voir et à entendre l’Europe de la Commission européenne humilier les Grecs et imposer son dictat à l’État grec.
Allemagne, un grave défaut de mémoire : Plan Marshall et Plan Morgenthau ?
L’Allemagne d’Angela Merkel est en défaut de mémoire. Elle semble oublier que, après avoir fait subir au monde deux grandes guerres et tant d’horreurs, l’Allemagne en ruines a vu sa dette effacée, rendue supportable au peuple allemand. Au vrai, qu’eût été aujourd’hui l’Allemagne, si elle n’avait bénéficié d’une aide massive (deux-tiers de sa dette annulée et prêts massifs : plan Marshall) ? Bienheureuse Allemagne, quand le président américain Harry Truman préféra le « plan Marshall » à l’humiliant « plan Morgenthau » qui non seulement prévoyait de diviser (en deux) l’Allemagne, de la dépecer (cession de territoires à la France, la Pologne, etc.), de la rendre entièrement pastorale (suppression de toute sa base industrielle) et entendait lui faire payer toutes les réparations.
Étrange ironie de l’histoire, mais qui n’est possible que par une lourde amnésie (défaut de mémoire), de voir Angela Merkel être vis-à-vis de la Grèce comme Henry Morgenthau (secrétaire au Trésor américain) voulut l’être face à l’Allemagne vaincue.
Pourquoi l’Allemagne de Merkel, qui heureusement n’est pas toute l’Allemagne, veut-elle aujourd’hui infliger à la Grèce la punition dont elle a été épargnée hier ?
Les dettes souveraines sont l’enfer des États
Haïti, alors la plus riche colonie du monde et qui contribuait au deux-tiers dans l’équilibre de la balance commerciale française, Haïti, le deuxième État du continent américain, ne s’est plus relever de la dette qu’elle dût payer à la France pour garantir son indépendance acquise par la force des armes. Son malheur actuel est un effet direct de son endettement sous Charles X.
On pourrait citer cent exemples de ce qui est avancé. En Afrique, les programmes d’Ajustement Structurel (P.A.S) imposés par la Banque mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI) n’ont pas fini de causer des dégâts. Le drame actuel de la Guinée-Bissau, qui fait 1% du PIB de l’Afrique de l’ouest, devrait être une leçon pour tous.
C’est pourquoi Aléxis Tsípras et Yánis Varoufákis n’ont pas eu tort de suggérer de sortir des sentiers battus. Car pourquoi le médecin se fâcherait-il avec le malade, lorsque c’est le traitement appliqué qui s’avère inefficace ?
La Grèce et le refus du crédit revolving
Car c’est bien de cela qu’il s’agit et non pas d’« aides » comme se plaisent à le faire croire les médias qui sont aux ordres et qui flattent l’orgueil des populations européennes, en leur faisant croire que ce sont elles qui devront payer l’insolvabilité grecque.
La Grèce de Tsipras a bien raison de refuser le « crédit révolving » qui lui est imposé. « Révolving », en effet, parce que les « prêts européens » consentis ne servent qu’à rembourser les prêts antérieurs et, ainsi, à augmenter l’endettement public qui, en cinq ans ont augmenté de 50%. Où est le bon sens ? D’autant que nos grands « spécialistes » en économie oublient de dire que tout prêt est assorti de « garanties souveraines » qui sont des produits financiers très rentables. Quand un État emprunte un montant, en contrepartie, il émet une garantie souveraine équivalente. Et de ce titre bancaire, les spéculateurs font grand bénéfice. Il ne faut rien connaître du monde de la finance, pour ne pas le savoir. Les garanties souveraines grecques ont beaucoup enrichi ceux qui les détiennent avant qu’elles ne perdent, par les mécanismes du marché des dettes souveraines, leurs valeurs initiales.
Le référendum de Tsípras et la signification du « Non » des Grecs
Il faut lire ou faire relire Les Suppliantes d’Eschyle, pour comprendre le recours de Tsípras au référendum. Ainsi, lorsque les cinquante Danaïdes, filles de Danaos, s’échappèrent d’Égypte après avoir refusé d’être mariées à leurs cinquante cousins, les Égyptiades, fils d’Egyptos, (excepté l’une d’entre elles : Hypermnestre), elles demandèrent asile au roi d’Argos et celui-ci fut confronté à un crucial dilemme : accorder l’exil aux Danaïdes et prendre le risque de guerre avec les poursuivants ou refuser l’hospitalité aux Danaïdes et manquer au premier des devoirs. C’est alors que, recherchant une « pensée qui sauve », il convoqua tout le peuple. Ainsi est née la démocratie, le pourvoir rendu par le peuple sur un enjeu majeur. C’est, au plan littéraire, la plus ancienne trace écrite de la démocratie.
Entre défaillance de mémoire et vaillance du souvenir
Alors que la chancelière Angela Merkel a perdu toute mémoire, Aléxis Tsípras se souvient d’Eschyle et du mode de surgissement de la démocratie. Là se tient la différence entre les deux leaders dont la confrontation renvoie à un enjeu essentiel : l’Europe de la Commission européenne ou l’Europe des peuples.