Le Cardinal Agré est mort
Un ami est mort ! Je relisais Les Confessions de Saint Augustin, lorsque me parvint l’annonce du décès de Bernard Cardinal Agré, archevêque d’Abidjan. Un ami est mort ! On est bien peu de chose, dit la chanson écrite par Cécile Caulier qui reprend un mot célèbre de Bossuet.
Ami, le théologien de Thagaste (actuel Souk-Ahras, en Algérie) dit, avec raison, que Le présent du passé, c’est la mémoire (Les Confessions, Saint-Augustin) . Alors, toi qui à présent se tient de l’autre côté, écoute ce que dit le Souvenir.
C’est Jean-Baptiste, mon frère aîné, qui fit notre mise en relation. Je vous rencontrai, pour la première fois, au principe de l’année 2005, après que vous me fîtes la bonté de préfacer mes méditations Sur la Crise ivoirienne. Grand dieu, quelle belle et riche préface, écrite d’un trait me confierez-vous. Je vous disais alors que seuls les contemplatifs ne laissent pas le temps creuser d’écart entre penser et écrire. Contempler ! Peut-être est-ce même le verbe qui seul suffirait à définir votre personne. Saint Augustin, dans le chapitre Puissance de la mémoire , dit en quoi contempler consiste.
Ainsi nos spéculations se construisaient selon les lignes d’un affectueux face-à-face entre un grand théologien et un modeste philosophe. Et, pourrait-on dire, elles prenaient appui sur la Lettre encyclique Fides et Ratio de Jean-Paul II, dont vous étiez si proche, et qui débute avec cette formule : La Foi et la Raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité.
Je garde solide mémoire d’autres instants tissés. Un repas frugale, chez vous, en la Cathédrale, et qui pour cela même élevait nos âmes. La parole, affirmait Saint Augustin, est la main de la bouche . Vous exposiez le Christ, quand je vous parlais de Jésus. Et nous spéculions.
Pierre, me direz-vous, en une autre occasion, dans votre bureau : Vous êtes, au fond, comme nous les Cardinaux. Seulement il vous manque la dimension mystique.
Mais ce qui toujours frappera mon cœur, c’est votre débordante passion pour, selon votre expression, « la Dame en bleu » : Marie. Vous aimiez à me dire, esquissant un sourire et projetant votre regard vers le « ciel du ciel », qu’Elle veille sur la Côte d’Ivoire, terre d’espérance. Que n’ai-je alors commenté L’Abidjanaise, la plus belle ode à la paix jamais écrite, et qui garde un lien secret avec Marie. Vous avez aimé votre pays et, pour lui, vous avez pratiqué ce que le roi Henri IV appelait la charité que nous devons à la patrie. Dans ce domaine, vous ne fûtes pas toujours compris. Mais pour l’être, il eût fallu lire Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte , ouvrage dans lequel évoquant Baruch, Jérémie, le Christ et saint Paul, J.-B. Bossuet rappelle la position de l’Église à l’endroit du politique. Quelques-uns disent que vous avez commis des erreurs et des fautes. Qui donc, par ce monde, n’en commet pas ?
Mais dussè-je le redire ici, lorsque me saisit l’idée de demander au Cardinal archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, de célébrer en Notre-Dame de Paris une Messe pour la paix en Côte d’Ivoire, l’évocation de votre nom et de votre préface de mon ouvrage ont suffi à le convaincre instantanément. Et, dans la journée même, il vous écrira cette fulgurante lettre que porte une grande force spirituelle . Une joie intense surgit à la relire. Et quelle belle Messe, ce dimanche 14 novembre 2004 ? Les Ivoiriens de toutes régions et religions y furent, nombreux aussi les amis de la Côte d’Ivoire qui y assistèrent.
Je sauvegarde un regret. Celui de ne pas pouvoir discuter de Saint Augustin avec vous, maintenant que je l’ai étudié. Cependant, j’irai le lire sur votre tombe. Si l’occasion m’en est donnée.
Adieu, soldat du camp céleste (Saint Augustin) au service permanent de votre « mère l’Église » ! Puisse les propylées du ciel s’ouvrir et les bras de votre Père miséricordieux vous embrasser. Et répondre à votre sourire comparable à celui de l’Ange au sourire qui triomphe au-dessus de la cathédrale de Reims.
Et ici-bas, que les poussières dans lesquelles toute course s’achève se souviennent de vous.