Hommage à Georges Monny
Ô Georges, vieil et précieux ami, « le meilleur d’entre nous » ! Tu pars ainsi, après d’âpres combats, rejoindre la communauté des défunts ((Συμπαρανεχρωμεηοι : Symparanechromeoi, Søren Kierkegaard). Mais, un instant encore, retiens ta marche et entend quelques mots.
Porte-flambeau ardent mais méconnu des lettres belles. En effet, bien peu savent aujourd’hui le faire, tu parlais, à l’égal de Senghor, un français suave, de « bon usage », au vocabulaire choisi et porté par une syntaxe exacte, dans tes moments de joie. Ta prosodie déjà nous manque ! Tu étais un langage, dans la broussaille des signes linguistiques. Un polyglotte : l’Allemand, bien sûr ; l’Anglais, forcément ; le Pidgin comme ancrage populaire et surtout l’Espéranto qui soutient l’universalité de ta vie, cette faculté de pouvoir parler partout et à tous sur terre. Comme Cabral, toutes tes pensées avaient pour horizon la Culture et, dans le sillage de Nkrumah, tout ton flux de conscience était constamment orienté vers l’Afrique et le monde noir. Tu étais Afropéen. Je me rappelle de nos rencontres que nous passions à penser ce que pouvait être l’âme régénérée du continent dans une humanité nouvelle.
Ô Georges, pour un seul homme, bien trop de souffrance. J’ai mesuré ta souffrance littéraire, celle de voir les médiocres de notre époque brider ton génie d’écriture. Souvent, dans nos tête-à-tête ou nos marches, je disais en guise de soutien que les Français ne pouvaient pas te reconnaitre, car y habitent la puissance des préjugés racialistes et l’exclusion des meilleurs parmi les Nègres. J’ai vu ta souffrance sociale, celle de ne pas être à la place qu’il te fallait comme travailleur de l’esprit. Tu m’as aussi conté, parfois avec colère et souvent avec douceur, tes souffrances familiales. Et, malgré tout cela, il te restait assez de force mentale pour m’encourager dans mes combats politiques. Tu as été de tous les fronts, et ce jusqu’à l’épuisement !
Tout le long, tu auras été un « nègre libre ». Nous ne pouvions donc qu’être amis et frères. Tu as été un père tolérant, jusque dans le genre, accueillant comme acceptable tout ce qui venait de tes enfants. Vous, enfants aimés de Georges, votre père était heureux de vous, de vos décisions, de vos ascensions sociales. Vous étiez, au vrai, sa seule vanité, lui qui se plaisait tant à citer le mot de la Bible, du Qohélet sur les Vanités ou les buées.
Henriette, amie d’Elvire, ces derniers mois, beaucoup et bien plus qu’avant, Georges parlait de toi avec tendresse et gentillesse, de toi comme de sa bienveillante moitié. Il avait des mots justes sur les soins que tu lui apportais et l’attention que tu lui prodiguais.
Georges était ‘’amoureux’’ de sa sœur et de ses frères. Il vénérait sa mère, dont la mort subite l’effondra même s’il ne voulut pas le montrer. Il chantait son père.
Vieil ami, comme le dit Bossuet le maître des oraisons funèbres, nous sommes bien de peu de choses. Tu parlais de la mort, de ta mort, comme le fit Socrate devant ses contempteurs. Tu admis l’immortalité de l’âme comme sublime vérité qui porte toutes les espérances. Tu étais tranquille, parlant de la mort, c’est-à-dire de votre confrontation. La con-frontation veut dire front contre front, ce fut avec toi l’intelligence debout face au non-être, avançant par la maladie ! C’est pourquoi tu as su mourir. Ce que peu d’hommes peuvent faire.
Adieu, courageux ami des tempêtes littéraires et politiques. Nous clamons nos pleurs. Monte au Ciel, libre, comme tu le fus sur terre ! Tu le faisais déjà si bien par tes idées.
Et comme le rugit Hölderlin : « ce que nous sommes, Dieu l’achèvera là-haut, dans la paix, les grâces et les harmonies éternelles ».
Dr Pierre Franklin Tavares
Épinay-sur-Seine, le 23 septembre 2021