Hommage à António Monteiro Mascarenhas, ancien Président de Cabo Verde
Car il peut servir de modèle universel à ce que doit être tout Président d’une République digne ; d’une République, dis-je, dont le titre n’est ni usurpé et moins encore emprunté par commodité, comme le sont de nos jours maintes « républiques ». Aussi, par le vagabondage de mon imagination, j’incline même à croire que si Ambrogio Lorenzetti revenait et décidait de reprendre son célèbre tableau, Les Effets d’un bon gouvernement (1338), sans aucun doute eût-il inséré António Monteiro Mascarenhas parmi les personnages de l’emblématique République de Sienne.
L’homme était vertueux, au sens que Platon et Aristote – les deux grands maîtres de la philosophie politique – prêtent à cette notion. Puisqu’il resta simple tout le long de sa vie, modeste à souhait et exerça sa fonction avec la plus grande délicatesse et une haute exigence éthique, toujours soucieux du « bien public ».
La République de Cabo Verde, parlementaire en droit et semi-présidentiel dans son fonctionnement, lui doit bien plus que ce qui est généralement dit et admis. Ce n’est que justice, que de le rappeler.
1989 : le mur de Berlin vient de s’effondrer. Un vent puissant balaie alors la terre. Une averse démocratique (représentative) secoue le monde. Poreuse aux souffles du monde, les premiers effets se font très vite sentir dans l’archipel du Cap Vert : multipartisme, en 1990. António Monteiro Mascarenhas emporte, en mars 1991, les présidentielles, soutenu par le Mouvement Pour la Démocratie (MPD), parti de type libéral. Et élu Président de la République, il assurera la première alternance politique en Cabo Verde, sans y injecter la moindre secousse. Un exercice affiné de l’institution présidentielle et, cinq ans plus tard, le peuple caboverdien le lui rend bien et lui apporte 73% de ses suffrages. Un second mandat exemplaire, de bout en bout, jusqu’au 22 mars 2001.
À n’en pas douter, António Monteiro Mascarenhas aura été l’un des grands stabilisateurs des Institutions publiques caboverdiennes. Ses qualités personnelles y auront compté pour beaucoup : discrétion, modération, pondération, probité et courtoisie. Parce que ferme sur les principes républicains. Aussi apportait-il un soin particulier, une attention méticuleuse à maintenir les écarts entre vie privée et vie publique, entre morale personnelle et esprit public, intégrité personnelle et action politique. L’homme, dit Aristote, est l’être qui se tient droit.
Il était d’un naturel calme. D’une belle éducation et attentif aux autres. Un esprit bien formé au Droit, dans la prestigieuse université Catholique de Louvain (Belgique). Tout chez lui, comme chez Andromaque, respirait le Droit. Il eut pu dire avec elle :
Voici la règle que je loue et que je me prescris :
Ni dans ma cité ni dans mon ménage,
Nul pouvoir où ne soit le droit .
Il ne tient pas au hasard qu’il ait été Président de la Haute-cour de Justice de Cabo Verde de 1980 à 1990, avant d’être Président de la République.
Et que de souvenirs personnels. Il aimait mon père, Amarante Gonçalo Tavares, dont il était parenté au quatrième degré, par la branche Monteiro. Dès que cela lui était possible, il lui rendait visite. Et c’est avec une émotion sublime que nous relisons encore sa brève lettre de condoléances lors du décès de mon père.
António Monteiro Mascarenhas appréciait également le savoir (pas uniquement la connaissance) et il cultivait une bonne relation avec les intellectuels. Il me souvient bien, deux faits marquants. 1991. Juste après ma soutenance de doctorat de philosophie à Paris-1, sur Hegel et l‘Afrique, il me fit parvenir une lettre de félicitations, qu’il prit le soin étonnant de plastifier, comme s’il avait voulu qu’elle résistât aux épreuves du temps. Puis, à l’occasion de son premier passage officiel à Paris, il demanda au Protocole d’État caboverdien de lui organiser un tête-à-tête avec moi. En aparté, quel bel échange sur les grandes idées qui mènent le monde ! C’était un bonheur pour moi, un ravissement de l’esprit que celui de discuter avec un homme public si cultivé et éduqué.
L’Afrique, en dépit de ce que répandent les grands médias, offre au monde de beaux exemples de démocrates et de républicains. Incontestablement, António Monteiro Mascarenhas est à suivre. Puisse des biographies relater la vie de cet homme remarquable.
Le 16 septembre dernier, s’éteignit António Monteiro Mascarenhas.
Adieu, ami et cher Président ! Et encore merci pour tes leçons. Si tu fus si bon et si droit sur terre, alors comment ne pas préméditer que là-haut, au Ciel, tu continueras tes bonnes œuvres. Car les âmes bonnes ne changent pas de nature.