Faut-il remanier le gouvernement français ?
« Il faut du mouvement dans le corps politique, ou ce n’est qu’un Cadavre. » Mably
De toute évidence, oui. Car, sous nos yeux déconcertés, la république est en passe de devenir une dépouille. Les quatre grands principes qui l’animent sont affaiblis : la vertu a tant reculé, la frugalité est remplacée par une course folle à la richesse chez nombre des responsables politiques, la séparation des pouvoirs s’estompe et la liberté d’opinion peine à se maintenir en coutume. Au fond, c’est bien plus qu’une « crise de régime ». C’est pourquoi il ne suffira pas seulement de passer de la Ve à la VIe république, pour que la crise se résolve, comme par enchantement. Car ce passage, considéré pour et par lui-même comme une sorte de fétiche institutionnel, ne serait rien moins qu’une fuite en avant, puisque les mœurs continueraient et le personnel politique serait le même. Ce n’est pas seulement les institutions, mais également les mœurs publiques et la classe politique qu’il faudrait changer. En effet, à vin nouveau, outres neuves, dit Jésus. Si bien que s’il ne s’en tenait qu’à des réformettes, François Hollande ne serait pas moins blâmable qu’un architecte qui projetterait d’élever un édifice solide avec de la boue, des pierres usées et des bois pourris , pour reprendre ici le mot de Mably.
L’idée d’un « gouvernement resserré » est une avancée à reculons. Une belle lubie politique, parce que la crise à laquelle la France est confrontée n’a rien de quantitatif et ne dépend pas du nombre de ses ministres. Trente bons ministres valent mieux que quinze ministres médiocres. La crise est qualitative, puisqu’elle touche aux fondations, et aux fondements et aux principes du politique.
En vérité, ce n’est pas seulement le « régime républicain » qui est mis en cause, mais tout aussi bien l’État, ce pivot de la vie éthique, qui tangue et vacille. La défiance des citoyens vis-à-vis de l’État va grandissant, parce que l’État s’apparente de plus en plus à un assemblage de type « publicain », c’est-à-dire centré autour de la collecte des impôts, des taxes et des amendes (routières, etc.). L’austérité imposée par les marchés financiers entend transformer l’État républicain en État publicain pour servir les buts de la Corbeille (Bourse, Cac 40, etc.). .
En outre, aux deux crises institutionnelles, celle de la république et celle de l’État, s’ajoute une troisième, non moins dramatique. C’est celle de la Démocratie qui, en son cœur, c’est-à-dire en tant que « représentation nationale » (corruption du corps législatif, lois non essentielles, avantages et privilèges) et « société civile » (affaiblissement des syndicats, des familles, associations), est gravement atteinte.
Sous ce rapport, constatons qu’il est tout à fait exceptionnel que les trois grands « moments » de la vie éthique , à savoir la famille, la société civile et l’État, soient concomitamment en crise. Une étincelle d’incompréhension ou une erreur d’appréciation, et tout peut s’enflammer. Et ce d’autant que les instituts de sondages, les partis politiques, les grands médias et les intellectuels n’ont pas encore compris la nature de cette crise, sa réelle dimension, son caractère d’ensemble et l’exacte mesure de son ampleur. Les facteurs de décomposition sont à l’œuvre : méconnaissance des faits et corruption des élites, ainsi que l’insatisfaction grandissante des catégories socioprofessionnelles et des couches sociales moyennes.
L’affairisme de la classe politique gangrène tout, de l’échelon local (collectivités territoriales) aux sphères de l’État. On aurait tort de mésestimer cette crise, qui affecte l’ensemble du corps social et la nation. Elle est polymorphe : 1°) crise politique (corruption, enrichissement, défiance citoyenne, rejet des institutions), 2°) crise éthique (destruction des valeurs républicaines, fin de toute morale personnelle, droit de cuissage des élus), 3°) crise économique (déficit public, dette publique, paupérisation, récession, flexi-sécurité, montée du chômage, fermetures d’usine, licenciements, destruction du système productif,), 4°) crise financière (subprimes, liquidités, bancaires, Chypre, Grèce, Espagne, Portugal), 5°) crise familiale (mariage pour tous, procréation et gestation médicales assistées, adoption), 6°) crise du logement (insalubrité, expulsions, augmentation des charges, dettes locatives, SDF, déficit de l’offre locative), 7°) crise urbaine (banlieue, narcotrafic).
Or, en raison de la mollesse et de l’absence de finalité dans l’action pratique du pouvoir exécutif, il n’est plus à exclure, à la faveur d’un événement, que toutes ces crises se fondent en une seule.
Bref, la Présidence de la république traverse une tempête. Elle doit baisser les voiles (communication) et tenir le gouvernail (décisions), en revenant à un mode de navigation simple (orientation et destination). Dans le même mouvement, un discours de gauche doit tonner à l’Assemblée nationale. Pour cela, le remplacement des responsables du groupe socialiste est un impératif. Car leurs propos sont inaudibles.
Quant au gouvernement, il conviendrait de le remanier. Martine Aubry devrait être à Matignon (Primature) et Ségolène Royale Place Beauvau (l’Intérieur), où Manuel Valls n’a jusqu’ici donné aucun résultat probant. D’autant que ses sourcils froncés et son apparente fermeté de ton ne sauraient constituer un programme politique. De même, la direction du Parti Socialiste devrait être revue. Ces quatre mesures sont les premières que devraient impulser François Hollande, s’il veut espérer juguler la crise et éviter la vague bleue marine en cours de formation.
À défaut, la rue et le corps électoral pourraient décider du cours des événements, par une série de votes sanctions aux élections municipales et européennes, ou par des manifestations qui peuvent tendre vers un climat insurrectionnel. La France est fatiguée. En mai 68, elle s’ennuyait. Parlant de cette capacité de révolte, de ce droit à l’insurrection, Hegel disait les Français ont la tête près du bonnet.
Et si François Hollande ne veut s’inspirer des républicains anciens, Clisthène, Aristide ou Périclès ; s’il ne peut s’inspirer des fondateurs de la République française, encore peut-il tourner le regard vers François, le Pape des pauvres, qui vient d’adopter les principes républicains (vertu, frugalité, séparation des pouvoirs).
La crise, pour le Président, est une « occasion » , et sans doute la plus grande des « occasions » qui lui soit donné pour enfin présider. Et s’il n’entend pas, il deviendra le Roboam de la gauche française.