Espagne et Catalogne : M. Rajoy est parti !
Il était, à lui tout seul, « le problème », comme nous l’affirmions dans deux articles récents.
Au revoir donc Mariano Rajoy ! Le Royaume hispanique et la démocratie espagnole ne s’en porteront que mieux, désormais. En effet, le 1er juin 2018, le Congrès des députés (Chambre basse) votait à la majorité absolue (180 voix sur 350) une motion de censure qui débarrassait l’Espagne de Mariano Rajoy, un encombrant chef de gouvernement, par ailleurs empêtré dans un gigantesque système de corruption. M. Rajoy était d’autant plus sévère envers les autres qu’il était indulgent avec lui-même. Cet écart était une croix. La Justice et les députés ont eu raison de lui.
Suite logique, cinq jours plus tard, Mariano Rajoy annonçait (5 juin) qu’il quittait la tête du Parti Populaire (droite). Il revient à la vie civile, qu’il n’aurait jamais dû quitter. En tous les cas, une page est définitivement tournée : celle des crispations politiques. Une autre prometteuse s’ouvre, avec trois grands paragraphes :
– l’arrêt de la libéralisation effrénée de l’économie espagnole,
– le retour des grandes questions sociales, et
– un nouvel espoir pour la Catalogne.
Il est à présent possible que la Catalogne républicaine ait des relations apaisées avec le Royaume espagnol. On peut désormais songer à une solution où la Raison, le droit et l’intelligence prendront le pas sur le caprice et le caractère de Mariano Rajoy.
Une piste de réflexion s’offre à la « crise catalane » : le dominion, que la Couronne britannique a bien expérimenté, notamment avec le Canada, l’Australie, l’Inde, et d’autres colonies. Rappelons qu’il y a Dominion, lorsqu’une « double souveraineté » institutionnelle (souveraineté partagée) est exercée par deux États sur un territoire donné. Dans le cas de la Catalogne, le schéma politique reposerait alors sur une double et simultanée reconnaissance : la reconnaissance de la République catalane (avec des prérogatives essentielles) et sa reconnaissance pleine et entière, par elle-même, au sein du Royaume d’Espagne, membre de l’Union européenne et des Nations Unies. Au vrai, la République française et la Principauté d’Andorre sont unies d’une façon similaire, aux termes de leurs Constitutions respectives. Le Président français n’est-il pas, de fait, coprince d’Andorre, sans que cela gêne l’indépendance de cette Principauté qui, au reste, est un État de droit, démocratique et social ? Mis à part 1793 (refus du coprincipat par la Révolution), cette clause n’a jamais vraiment été remise en cause.
Ainsi, la Catalogne deviendrait-elle un État indépendant, à la souveraineté uniquement limitée sur deux ou trois prérogatives constitutionnelles, au sein d’un Royaume qui, lui, ne perdrait rien, si elle conservait un droit de veto sur l’exercice de la guerre, la diplomatie (affaires étrangères), la monnaie et l’Union Européenne. Ainsi, l’histoire éviterait deux schémas inadaptés qui ne touchent pas au fond de la crise catalane, parce qu’elles ne correspondent ni aux « mœurs » catalanes et espagnoles, ni à leur niveau de conscience historique : « l’indépendance-association » (Nouvelle Calédonie) et l’État-fédéral (Allemagne).
Car en Espagne, la question de l’adaptation des institutions aux mœurs a toujours été délicate. Hegel, par exemple, a situé le début de la fin de l’Empire napoléonien, précisément dans le fait que Napoléon voulut plaquer et imposer une Constitution (principes de 1789, tutelle française, abolition des droits féodaux, suppression de l’Inquisition, fin des barrières douanières, affaiblissement du Catholicisme (réduction des couvents), abolition des royautés espagnoles, etc.) à des mœurs qui ne pouvaient pas les accepter : d’où la « guerre d’Espagne » et d’indépendance (1807 – 1814) qui, après sa défaite militaire à Haïti, sanctionna la fin de son rêve impérial. Somme toute, il nous semble que le dominion reste une figure possible pour surmonter la crise catalane.
En tous les cas, que la Justice et le Congrès des députés se soient débarrassé de Mariano Rajoy, cela ouvre un nouveau champ de possibles historiques. Et sans doute Pedro Sánchez, nouveau chef du gouvernement d’Espagne, issu de la gauche (PSOE), exploitera-t-il les possibles : justice sociale et renouvellement de la problématique catalane. C’est le moins qu’on puisse espérer.