Épinay : du désastre à l’espoir
Le conseil départemental de Seine-Saint-Denis reste à gauche, par un sauvetage in extremis et au milieu d’une déroute nationale. Des cantons emblématiques sont passés à droite : la Corrèze, fief du Président de la République, l’Essonne citadelle du Premier ministre, le Nord bastion de Martine Aubry, l’Allier traditionnellement communiste.
Le parti socialiste local ne peut gagner seul
Dans le canton de Saint-Ouen, Karim Bouamrane et Dina Diffairi ont été battus par le maire d’Épinay qui, une nouvelle fois, a bénéficié des reports massifs de l’ensemble de la droite et de l’extrême-droite. Le retard de 1 400 voix constaté au premier tour aurait pu être beaucoup moins important, s’il y avait eu une franche concertation entre toutes les composantes de la gauche spinassienne. C’est que certains acteurs locaux de la gauche, en dépit des échecs répétés des dernières années, ont pris la mauvaise habitude de décider seuls, et d’ignorer leurs alliés naturels. Ce n’est pas seulement une erreur d’appréciation des rapports de force entre les composantes de gauche dont aucune n’a aujourd’hui seule de majorité, mais ce fut aussi et surtout une lourde faute politique et une grave méprise stratégique.
Le retard de 1 400 voix du premier tour en est la conséquence. Au reste, Karim Bouamrane s’en est vite aperçu et, mi-février, a dû venir nouer contact avec les autres composantes pour tenter de rectifier le tir et de donner un axe nouveau à sa campagne. Il n’a cependant pu rattraper le trop important retard et la défaite redoutée s’est matérialisée, à seulement 550 voix de distance. Les erreurs du début de campagne ont couté cher. En effet, le candidat unique de la droite (UMP – UDI – MODEM) et de l’extrême-droite (Front National) aurait pu être facilement battu.
La section locale du parti socialiste est coupée des quartiers populaires
Une nouvelle fois, jusque dans les bureaux de vote d’Orgemont, quartier populaire et soumis à un clientélisme politique hors du commun, la droite a rassemblé une majorité de suffrages. C’est ainsi que, majoritaire à Saint-Ouen et à L’Île-Saint-Denis avec plus de 1 000 voix d’avance, le tandem soutenu par la gauche se trouve battu sur l’ensemble du canton en raison du déséquilibre constaté sur la fraction spinassienne. En effet, pas un seul bureau à Épinay n’a échappé à la domination de la droite. Et ce déséquilibre aurait pu également coûter cher dans le canton n° 9, sans la force du vote de gauche à Pierrefitte et à Villetaneuse.
Un très net avertissement pour les futures élections
Ce constat est désolant, mais c’est aussi, pour l’avenir, un avertissement et une indication sur le travail à accomplir. Un avertissement en ce que, à Épinay comme ailleurs, la démobilisation de l’électorat de gauche lorsque la droite maximise son score aboutit à faire gagner celle-ci dans des situations où personne n’aurait pu l’imaginer il y a encore peu. Alors que l’intégration d’Orgemont dans le canton 18 devait permettre à la gauche de s’assurer une victoire certaine, ce redécoupage a finalement joué en faveur de la droite, par l’alliance formée entre les deux maires de droite de Saint-Ouen et d’Épinay au soir du premier tour. Légitimement, les inquiétudes vérifiées à la fois lors des municipales de 2014 et lors de ce scrutin départemental peuvent désormais être formulées à propos des prochaines échéances, en particulier pour les élections législatives de 2017 sur la première circonscription (Épinay/Saint-Denis-Sud/Saint-Ouen).
À cet avertissement correspond une indication, une injonction qu’il importe de suivre aujourd’hui plus encore que l’année passée, au niveau local. La droite gagne du terrain grâce à plusieurs facteurs, mais surtout deux raisons majeures. La première, on le sait, est le contexte national défavorable, conséquence d’un travail gouvernemental qui joue contre les intérêts des Français en même temps que contre le potentiel électoral de la gauche locale. Malgré les résultats électoraux, ce gouvernement est décidé à poursuivre une politique dont il croit encore qu’elle ne serait pas aimée parce que ses résultats tarderaient à se faire sentir, et non parce qu’elle est simplement mauvaise, inadaptée à la situation de crise que nous connaissons et issue d’une erreur de diagnostic sur les raisons de cette crise. Cela ne changera donc pas : cette gauche dévoyée de sa vocation poursuivra une politique d’inspiration thatchérienne, quitte à s’enferrer dans l’échec économique, social, et par suite électoral.
Mais ce n’est pas tout. Même en faisant abstraction d’un gouvernement qui, d’évidence, fera tôt ou tard long feu, la gauche a trop longtemps cru que les votes populaires lui étaient acquis. Il est temps pour elle de réaliser qu’ils ont été majoritairement perdus, au profit de la droite ou de l’extrême-droite et, surtout, de l’abstention. C’est particulièrement le cas en Seine-Saint-Denis, et plus encore dans la commune d’Épinay et ses zones les plus marquées par la crise et la paupérisation. Il est temps aujourd’hui de partir à la reconquête de ces électeurs par un véritable travail de terrain, par une restructuration des équipes locales, par l’établissement d’un nouveau dialogue avec les citoyens, par la formation d’une nouvelle génération de militants. Il en va de l’avenir de la gauche dans le 93, pour que les prochaines élections municipales, départementales et législatives ne soient pas des désillusions plus cruelles encore que celles vécues ces derniers mois. Et il en va, aussi, de l’avenir de la gauche dans notre pays. C’est des quartiers populaires, de l’électorat certes le plus déçu aujourd’hui mais néanmoins le plus concerné par l’urgence sociale dans notre pays, que doit venir un renouveau.
Vers le renouveau de la gauche à Épinay
« Pour une ville juste envers tous » reprendra ses activités dès le retour de Pierre Tavares du Moyen Orient, en vue des échéances électorales régionales et législatives notamment. Mais dès aujourd’hui, notre organisation propose à l’ensemble des forces de gauche concernées par les échéances actuelles et à venir, à Épinay-sur-Seine et dans les villes voisines, d’entamer un dialogue constructif et respectueuse des identités de chaque composante, en vue de se rassembler pour aborder d’une façon coordonnée et organisée le travail programmatique et militant pour les années futures. Au-delà des différends passés, des désaccords ponctuels, les formations de la gauche locale doivent aller au-devant du devoir moral qu’elle porte, du fait même de leur engagement. Aucun espoir en faveur des forces du progrès et de l’égalité, ici comme dans toute la France, ne sera permis sans nos efforts et notre travail. Et c’est à nous tous, militants de gauche, ancrés dans les territoires populaires du nord parisien, qu’il revient d’assumer cette responsabilité, devant deux siècles et demi d’histoire de la gauche française.