Côte d’Ivoire : 3e Lettre à Alassane Ouattara
Après votre allocution du 6 août 2018 qui, tel un levain, a levé tant d’espoir, fasse le Ciel, Monsieur le Président de la République, que, demain, nul n’ait à vous dire, avec l’amertume des paroles désolées d’Euripide : « Tu as écouté le sang chaud, et non les têtes sages » (Les Suppliantes).
S’il est permis à ami de la Côte d’Ivoire de formuler quelques avis, sans l’attente de bénéfices, alors je voudrais le faire en ces termes de sagesse : terminez paisiblement votre second et dernier mandat. Vous avez accompli votre destin ; ne le provoquez plus ! Hormis l’endémique corruption et l’oligarchie qui se sont renforcées, votre mandat porte un bon bilan qui se défend, au nombre d’infrastructures réalisées et du taux croissance obtenu. Vous avez donc accompli ce que la Constitution vous autorise. Respectez-en les bornes, les limites ! Les Euménides veillent toujours. Alors, ne prêtez pas l’oreille aux zélateurs, à tous les pourfendeurs de ceux qui, hier, vous ont aidé à parvenir au pouvoir. Car la gratitude, toujours, augmente l’homme.
Dans son Discours de la méthode, Descartes n’eut pas tort de dire qu’un « malin génie » s’évertue à induire la conscience pensante en erreur. Alors, qui donc, auprès de vous, remplit cette détestable fonction ? Et comment et pourquoi parviennent-ils à vous incliner vers ce qui, inutile, inéluctablement mènera à un désastre ?
Souvenez-vous de Rome et des conditions de sa première alternance politique, qui verront arriver au pouvoir le roi Numa, successeur de Romulus, dans un climat de sagesse. C’est même sans doute de ce modèle historique que Henri Konan Bédié s’est inspiré, pour faire en votre faveur l’appel de 2010 et répété en 2015 avec L’appel de Daoukro. Alors, pourquoi maintenant l’acculer publiquement et vouloir l’humilier de la sorte ? C’est inutile et risqué. Dans L’art de la guerre, premier ouvrage en cette matière, Sun Tzu conseille de toujours laisser une porte de sortie à ses adversaires ; à défaut de quoi, ils peuvent devenir invincibles, dans la lutte à mort. Méditez l’enseignement de ce grand général chinois.
Et pourquoi éloigner Soro Guillaume ? C’est en voulant marginaliser Jules qu’on l’a fait César.
Il est vrai, chez vos adversaires, maints réclament violence et vengeance contre vous. Mais ne leur accordez pas cette chance, ce bonheur qui est le malheur de tous. Ils espèrent avoir raison dans un champ de ruines. Dans l’histoire universelle, la rancœur n’a jamais pensé. Et c’est, pour elle, une impossibilité principielle. Laissez ces théoriciens du chaos à leur triste souhait. Ils voient dans la réconciliation ivoirienne la soustraction (l’annulation) des violences à venir qu’ils appellent de leurs vœux et pour lesquelles ils soupirent d’avance. Méditez les enseignements de Hegel, le philosophe de la réconciliation, mais parce qu’il est d’abord, plus d’un l’ignorent, le philosophe de la guerre !
La Côte d’Ivoire a déjà connu trop de morts, de violence et de haine, pour votre advenance au pouvoir. Gardez-vous qu’il en soit de même pour votre départ.
Aussi, de grâce, ne déformez pas et n’instrumentalisez pas les Institutions publiques. Car, il en résultera une nouvelle crise que seule viendra mal résoudre un coup d’État que personne, pas même la France et ses vaillants soldats ne pourront arrêter. Nous devons éviter une secousse meurtrière à la Côte d’Ivoire.
Le RDR, par une longue série de mauvais calculs et sur fond d’une profonde crise sociale, s’est mis dans une impasse : le RHDP-Unifié. Pour en sortir, écoutez « les têtes sages », pas « le sang chaud ». Car à la fin, tous ceux qui, aujourd’hui, vous exhortent au rapport de forces seront, demain, les premiers à vous incriminer. Le RDR, c’est-à-dire le RHDP-Unifié moins Soro Guillaume, est désormais minoritaire dans le « beau pays ». Qui vous dit le contraire, ne veut pas la vérité.
Des hommes exceptionnels vous entourent : le remarquable Kablan Duncan, le doué Amadou Gon Coulibaly et le talentueux Hamed Bakayoko. Ils vous seront d’un sage conseil. Mais écoutez, surtout, Mariatou Koné, une dame exceptionnelle et apaisante, qui ne voit que son pays et pas elle-même.
Il serait éclairé pour vous d’aménager, en toute beauté, votre sortie de la scène publique. Si vous voulez, pour vous, des lendemains de repos. Je ne suis pas expert dans l’art des prophéties. Je médite la mécanique des forces sociales. Rien d’autre !