Affaire Benalla : affaire d’État et médiocrité française
Dans notre avant-dernier ouvrage paru en 2017, La conspiration des médiocres, nous mettions au jour et analysions de façon implacable ce mal étrange qui frappe la France : la médiocrité ! Le scandale Benalla en est un nouveau symptôme.
Tous les Français sont ahuris de découvrir ce personnage et chacun est stupéfait en apprenant la place qu’il occupe dans le Protocole d’État, c’est-à-dire tant dans la Maison civile que dans la Maison militaire qui sont les deux piliers du palais de l’Élysée et le cœur du pouvoir présidentiel, pivot des institutions de la Ve République. Un passe-muraille au sein de l’Élysée, capable d’en traverser les murs. Aucune cloison ne lui aura résisté.
On ne prend donc l’exacte mesure de qu’est « l’affaire Benalla » qu’en la ramenant au Protocole d’État, une notion dont le sens et la signification ont aujourd’hui été perdus. Rappelons ici que proto-kollon (πρωτόϰολλον) signifie premier-collage ; par suite, proto-kollon d’État désigne l’assemblage premier (le plus haut) des institutions publiques. C’est cela même qu’est l’institution présidentielle française, selon le Titre II et les articles 5 à 19 de la Constitution. En d’autres termes, le Protocole d’État est, en France, la structure première à laquelle « collent » ou sont « collées » toutes les autres institutions publiques.
Sous ce rapport, « l’affaire Benalla » est donc, de facto, « une affaire d’État », puisqu’elle touche et affecte directement les deux pentures du Protocole d’État, du proto-kollon d’État que sont et la Maison civile et la Maison militaire du Palais de l’Élysée.
Alexandre Benalla ! Au fond, personne ne sait vraiment son parcours scolaire, mais l’on découvre ses grades, fonctions multiples et rémunérations exorbitantes : garde du corps, CRS anonyme, intime du couple présidentiel, chargé de mission, grand policier, petit gendarme, officier supérieur militaire, ancien agent de sécurité, casseur de manifs, protection rapprochée, barbouze, représentant, directeur de protocole, videur de salle, lobbyiste, spécialiste de l’événementiel, karatéka pour asséner des coups de poings à un jeune manifestant à terre, judoka pour faire une balayette (manquée) à une frêle manifestante, super salarié de l’État…, et tout cela à 26 ans. Quel curriculum vitae ! « Mourir de rire » : seul Bonaparte a fait mieux ! Et encore, ce dernier fera ses preuves dans le champ de combats sous les yeux de la Révolution.
En tous les cas, les raisons fabuleuses comme les conditions ahurissantes de la fulgurante ascension d’Alexandre Benalla sont une illustration supplémentaire de ce que notre époque est précisément celle de la médiocrité, un mal qui corrode profondément le corps national français. En un rien, on peut être tout.
Nous avons vu Macron, jeune homme cultivé, arriver en un rien de temps à l’Élysée. Mais comment comprendre qu’un inculte notoire ait pu, si aisément et à bien peu de frais, se fabriquer une brillante biographie cousue d’or ; et comment, en moins de deux ans, un médiocre patenté, d’une violence démesurée, a-t-il pu si rapidement se hisser au haut sommet de l’État français, en traversant avec une déconcertante aisance tous les paliers de la République ? Certes le phénomène n’est pas nouveau, mais il frappe ici par sa rapidité, comme si la médiocrité, de plus en plus sûre d’elle-même, gagnait en vélocité. Comment admettre qu’Alexandre Benalla soit ainsi parvenu à un poste-clé dans l’un des plus vieux États du monde qui devrait offrir d’autres garanties quant à sa solidité ?
Avant, un médiocre inscrivait son ambition dans le long terme, pour parvenir au sommet de l’État. La chose est désormais de plus en plus rapide et de plus en plus facile.
C’est que, nous l’avons souligné, la médiocrité est une époque, en ce sens que les médiocres font appel à d’autres médiocres pour s’emparer de tous les leviers de l’État. Alexandre Benalla nous le montre. Il a « capturé » l’Élysée, à un point tel que plus personne ne pouvait rien lui refuser. Et c’est en cela même que son « cas » est instructif.
Qu’il nous soit ici permis de citer les premières lignes de notre livre, La conspiration des médiocres, pour montrer l’époque dans laquelle nous sommes et par laquelle nous sommes tenus :
« Rien, aucune institution, nul établissement ou grande entreprise, pas une loge ni une ville où ils ne triomphent. Ils se sont emparés de l’État et des collectivités territoriales. Les universités ne leur échappent pas. Les médias aussi. Partout, ils ont accaparé les pouvoirs et pris en main les leviers de décision.
Je désigne ici les médiocres, avec force et colère. Par un « coup d’état » silencieux qui ne clame pas son nom, ils sont parvenus à renverser l’ordre ancien, celui du génie et du dynamisme de la France.
Après celui de Mably, un mot célèbre de Lamartine peut, à lui tout seul, résumer combien la France n’est plus ce qu’elle était :
Ma patrie est partout où rayonne la France
Où son génie éclate aux regards éblouis !
Chacun est du climat de son intelligence.
Je suis concitoyen de toute âme qui pense :
La vérité, c’est mon pays .
C’était cela, la France, il y a encore moins d’un demi-siècle. Et, brusquement, la patrie s’est assombrie, pour ne plus rayonner. Les regards sur la France ne sont plus éblouis. Le pays ne pense plus, comme la vérité s’est éloignée » (Éditions d’Orgemont, Amazon, page 26).
Mais ce qui fait ici question, ce n’est pas tant de savoir « qui » est Alexandre Benalla (biographie), ni non plus « comment » il est parvenu à noyauter l’Élysée (processus), mais « pourquoi », si vite et si aisément, il y est arrivé. En d’autres mots, nous devons rechercher le fondement même de son éphémère réussite, découverte par hasard et par le film d’un excès commis lors d’une manifestation publique. Tout semble désormais tenir à bien peu de choses, la République comme la vélocité des trajectoires individuelles. C’est l’époque qui le veut ! La médiocrité s’est emparée de toute la sphère publique.
En tous les cas, ironie de l’histoire, Emmanuel Macron vient de découvrir, si près de lui, plus « macronien » que lui ! Peut-être même est-ce là la raison principale de son mutisme. Nous serions alors en présence d’un Jupiter stupéfait. Telle est la « farce » de l’histoire, pour reprendre (en la taisant) la célèbre formule que Marx empruntera à Hegel.