Épinay-sur-Seine : un politique qui achète du religieux
Un Fol allait criant par tous les carrefours,
Qu’il vendait la Sagesse ; et les mortels crédules
De courir à l’achat : chacun fut diligent.
Connaissez le Fou qui vend la Sagesse, une des fables de notre inégalé La Fontaine ? Non, alors courez la lire, car elle nous instruit des balivernes des uns et nous prévient des sottises. Et si l’histoire de cette fable est ancienne, sa « morale » et sa « leçon » demeurent actuelles. Il suffit, pour s’en convaincre, de se rendre dans une petite « République aquatique », Épinay-sur-Seine, où un maire ne cesse d’acheter du religieux.
Qui donc ne l’a jamais rencontré ce maire, bel ignorant des doctrines théologiques, inculte en protocoles religieux, méjugeant totalement la laïcité, mais qui s’est piqué d’être diacre parmi les catholiques, pasteur avec les protestants et imam au sein des musulmans ? Ainsi, tel le furet, le voit-on courir après la diversité religieuse. C’est que le temps s’y prête.
Une présence aux cultes à des fins électoralistes
Ainsi, le 21 juillet dernier, le vit-on à la télévision, sur France 2, lors de la retransmission d’une messe dominicale. Spectacle fort étrange, en effet, que de découvrir combien le premier des élus méconnaît le rituel de la messe et, sans gêne, en fasse étalage public.
Ce qui, le plus, choque, c’est d’abord la monstration de son ignorance des deux grandes Tables de la messe : la « Table de la parole » et la « Table du Pain » qui rassemblent les quatre parties constitutives de la Messe : l’Ouverture, la Parole, la Liturgie Eucharistique et l’Envoi. Chacun de nous se souvient de l’anecdote du buste creux. Observez ici le drôle, en ses manières. Pas une seule fois, ce maire ne sut se tenir ni moins encore saisir la signification de ces quatre parties. L’individu semblait même, par moment, s’y ennuyer. L’élu était dans l’Église avec une adjointe et une conseillère municipale de la majorité, pour la messe, mais sans participer aux moments de la messe. Comprenne qui pourra. Revoyez-le ! Immobile et crispé, lors du rite de l’Ouverture. Soit ! Distrait, pendant la Liturgie de la Parole, pour ne pas entendre. Mais mal y a-t-il à écouter ? Ailleurs, durant la liturgie eucharistique, par crainte du Repas. Pourquoi ? Et si pressé de sortir de l’église, qu’après l’Envoi il enfreint le « rite de conclusion », en emboitant le pas aux prêtres et enfants de chœur, en se plaçant juste après eux, comme s’il faisait partie des célébrants de la messe.
Au total, nul respect du rite catholique. Alors, pourquoi avoir été présent ? Est-ce uniquement parce qu’il fallait être « vu à la télé » et « occuper le terrain », en cette pré-saison électorale ? En tous les cas, si le ridicule ne tue pas, il expose. Tel fut, en Notre Dame des Missions, égal à lui-même, celui qui dirige le gouvernement de la chose publique aquatique . Ah, inculture, quand tu tiens tes proies et qu’il te plaît de les exhiber !
De même, quand il s’agit de l’Islam, l’élu commet des gaucheries mais d’une autre nature. Premièrement, personne, et pas une seule fois, ne l’a vu entrer dans la Mosquée du 26, rue de l’Avenir (qu’il a fait financer à grands coûts d’impôts locaux : 2,8 millions d’euros) ou s’introduire dans le gymnase Félix-Merlin, équipement municipal réservé à ce culte pendant le Ramadan, sans ôter ses chaussures. Il en respecte les usages. Deuxièmement, on l’a vu prendre part à l’iftar (repas du soir de rupture du jeûne journalier) à la Mosquée ou au foyer Soundjata qui comprend en son sous-sol un lieu de prière.
Or l’iftar, qui annonce et prépare l’Aïd el Fitr (fête de la fin du Ramadan), est au cœur même du rite musulman, puisque le jeûne est l’un des cinq piliers de l’Islam. Autrement dit, l’ouverture et la rupture du jeûne, qui rythment et donnent au Ramadan sa principale signification religieuse, sont donc deux actes essentiels de la foi musulmane. Seule une méconnaissance de ce culte le banalise en acte de sociabilité pour en faire un repas ordinaire. Et le concevoir sous cet angle est bien commode, pour certains hommes politiques. Après tout, disent-ils, ce n’est que convivialité et repas amical. Ils en retirent la dimension religieuse, ce qui ne change rien au fait religieux.
Clientélisme et divisions : un maire qui se mêle des affaires religieuses
L’ensemble des rappels précédents visait, d’une part, à saisir sur le vif l’incapacité du maire à comprendre les aspects fondamentaux des religions, et, d’autre part, à montrer qu’il considère les rites religieux selon l’estime qu’il a des religions. Nous avons vu que la « Table du Pain » est au fondement de la foi et de la communauté catholique, puisque, célébrée chaque dimanche, elle répète la Cène (dernier repas et ultimes paroles du Christ à ses disciples). Nous savons que le Jeûne du Ramadan est également au centre de la foi musulmane. Or le maire, qui ne sait pas apercevoir les fondamentaux d’une religion, ne peut non plus pas saisir les similitudes ou les proximités de structures entre les rites. En effet, il se déchausse avant d’entrer dans une Mosquée, en feignant de croire que retirer ses chaussures n’est pas l’acte religieux d’introduction dans un lieu de prière musulman. Il ne se signe pas de la croix avant d’entrer en Église, parce que sachant qu’il ne peut distordre ce symbole, il ne le fait donc pas. Au fond, il est ignorant du parallélisme des cultes et veut les croire radicalement distinctes. Par suite, il ne peut savoir comment adopter une posture laïque identique entre deux manifestations cultuelles distinctes. Ainsi, par manque de discernement, commet-il bien souvent des fautes de jugement. Incongruité dans un rite, puisqu’il ne se signe pas d’une croix en début de Messe. Respect dans l’autre, puisqu’il retire ses chaussures avant d’entrer en Mosquée. C’est le premier paradoxe de tous ce « vrai-faux » laïc.
Mais, il est un deuxième paradoxe, celui du comportement et qui n’est pas là où l’on pourrait le croire. En effet, si ce maire ne respecte pas le rite catholique, c’est parce qu’il le prend au sérieux. Et s’il respecte le rite musulman, c’est parce que, au fond de lui-même, il ne le prend pas au sérieux en l’assimilant à de la cire et modifiable à merci, notamment le sens du Jeûne.
C’est en effet une véritable « crise de savoir » dont résulte une altération profonde du rapport de la mairie d’Épinay-sur-Seine aux religions, et l’on en prend l’exacte mesure avec la série de désordres, de confusions et des incessantes et maladroites immixtions du maire dans les affaires religieuses. Le maire agit sans connaissance et semble, en plus, fier et heureux. Peu lui importe les fadaises, s’il croit qu’elles lui rapportent des électeurs.
S’agissant de l’Islam, c’est par ignorance et pour des raisons électoralistes qu’il a plongé la communauté musulmane d’Épinay-sur-Seine dans une division profonde à l’intérieur de laquelle il a constitué et entretient des clans rivaux autour de trois axes : 1° les pays d’origine (Algérie, Maroc, Mali, Pakistan, Sénégal, Turquie, etc.), 2° les obédiences religieuses (sunnite, chiite, ibadite) et 3° entre « amis » et « adversaires » du maire. En clivant ainsi la communauté musulmane, il croit s’assurer un électorat captif. Nous sommes dans la plus grande confusion jamais vue à Épinay entre la sphère politique et la sphère religieuse. Rappelons, qu’inaugurée en 2009, le maire ferme la Mosquée une première fois de novembre à décembre 2010. Elle rouvre à la fin du mois de décembre 2010 pour être de nouveau fermée en février 2011. Elle est finalement fermée en 2012 et rouverte « de manière définitive » en 2013, un an avant les élections municipales. En 5 ans, la Mosquée d’Épinay n’aura accueilli ses fidèles que quelques mois.
Mais à tant organiser le clivage au sein des communautés religieuses et, ce faisant, à tant insérer du politique dans la sphère du religieux, un maire, quel qu’il soit, finit toujours par être pris à son propre piège :
La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur
Qu’il est difficile, pour un maire, de faire ses emplettes religieuses. Tout comme il est imprudent et périlleux, pour un religieux, d’acheter du politique. Cette double leçon, la future majorité de gauche doit la retenir et, dès à présent, rappeler à tous, droite locale comprise, ce qu’est la laïcité et pourquoi elle est le « credo » républicain.
Précis sur la laïcité
Que la laïcité doive être expliquée, nous devons en convenir, tant le mot a été galvaudé. Mais, sans aller plus avant, il suffira ici, à propos du mot laïcité, d’emprunter à Jean de la Fontaine le constat qu’il fit du mot « enseigner » : J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui. Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême (La grenouille et le rat). « On » a asséché ou volontairement vieilli le mot laïcité, par son usage abusif.
En effet, depuis une trentaine d’années, il est une mode continuée qui ne parle que de République, pour éviter de parler de la France. Le tour de force a consisté à faire croire que la laïcité est la « fille » de la République, en feignent d’oublier que le combat laïc s’est amorcé longtemps avant, par une lutte décisive entre la royauté et la Papauté, entre pouvoir politique (royal) et pouvoir théocratique (pontifical), entre le règne temporel (État) et le règne spirituel (Église), et dont l’exemple le frappant restera la crise aiguë qui eut lieu de 1296 à 1303, entre le roi Philippe IV le bel et le pape Boniface VIII. Cette tension se poursuivra au cours des siècles suivants pour trouver son point d’équilibre dans la grande loi de 1905 sur la laïcité qui dispose la subordination de l’Église catholique et des autres églises à l’État républicain et laïc.
Au fond, la France fut laïque bien avant sa République. Ou du moins, « sa » république a su capitaliser toutes les luttes antérieures visant à séparer la sphère publique et la sphère religieuse. C’est pourquoi nous nous inscrivons dans la filiation de Philippe Dumouchet qui, le premier, forgea l’expression la plus chère d’entre toutes : « République française ». Il méditait la République de France.
Mais il en va tout autrement dans « la République aquatique », où l’inculture et l’opportunisme politique ont fait du religieux un petit « marché public ».