Hommage à Pierre Mauroy
Il m’en souvient bien, c’était en 1992. J’étais alors second secrétaire de la section socialiste d’Épinay-sur-Seine. Je rencontrai Pierre Mauroy, pour la première fois. Il n’y eut pas d’autres occasions. Je n’étais pas seul. Nous étions quelques « camarades » réunis autour de lui, à converser et séduit par l’attention qu’il nous portait. Et il me plut, subitement, de lui demander quels étaient ses rapports avec François Mitterrand.
Et comme à son habitude, il ne se répandit pas en larges explications historiques ou politiques, mais nous livra une anecdote, comme il aimait tant à le faire. Il avait l’art de raconter, comme s’il avait formé dans cette matière et comme s’il avait lu Vladimir Propp, le premier qui mit en évidence la structure générale des contes merveilleux. Car tout devenait merveilleux, lorsque Pierre Mauroy en parlait. C’était même, je crois, un conteur dans l’âme, dimension que ses amis ne soulignent pas assez. Il ne serait pas exagéré de dire qu’il fut le seul conteur du socialisme. Sans doute cette aptitude lui venait-elle de son enracinement au pays profond. Car il avait la gestuelle captivante des conteurs et la maîtrise des techniques oratoires qui captivent tout auditeur. Sa grande éloquence fut au service du socialisme, comme Jaurès, épigone de Bossuet, sut si bien le faire.
Mais revenons à l’anecdote.
– « François Mitterrand, que puis-je vous en dire ? » Il rompit le temps un instant, puis reprit, le fil de son propos :
– « Laissez-moi donc vous rapporter une anecdote, qui vous instruira sur la relation qu’il entretenait avec les « éléphants » du Parti. Voyez-vous, camarades, bien souvent François Mitterrand nous recevait l’un après l’autre. Et, à chaque fois, avec malice, il s’évertuait à manifester sa désapprobation avec les avis de l’interlocuteur précédent, profitant même pour en dire quelque mal. De ce stratagème, nous finîmes par nous en rendre compte. Aussi, à la suite des nos entretiens successifs avec lui, nous nous rassemblions pour savoir ce qu’il avait dit de chacun d’entre nous, et nous éclations en rires. C’était aussi cela Mitterrand. »
Le petit cercle fut prit de grands rires. Et, alors même que nous croyions le récit terminé, Pierre Mauroy qui partageait nos éclats en reprit le cours, pour nous en donner la fin de l’anecdote :
– « Mitterrand n’a jamais su que nous nous réunissions tous, pour rire de son stratagème ».
Sur cette chute finale, notre hilarité reprit de plus belle !
C’était cela aussi Pierre Mauroy, un formidable conteur d’anecdotes.
De lui, je garde le souvenir d’un homme affable et d’un socialisme déterminé qu’il appréciait au nombre de conquêtes sociales réalisées pour le bonheur du peuple. Qu’il est loin ce temps-là !