Les dialectiques subliminales de Manuel Valls
Un parti politique se meurt : le Parti socialiste français. La mort vient, lente, comme inexorable. Pour lors, rien ne semble y remédier. En effet, les prescriptions médicales successives aggravent le mal. Un exemple : la crise continue du premier secrétariat. Le 15 avril 2014, en grande pompe, Jean-Christophe Cambadélis remplaçait Harlem Désir. Nous devions alors voir ce que nous allions voir. Pschitt ! Rien. Ou plutôt pire. Car le mal s’est accru. Le remplaçant est aussi médiocre que le remplacé. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux, pour voir.
Avec la crise des adhésions (désertion des militants, 2013), la fin du « socialisme municipal » (mars 2014), les défaites successives aux élections départementales (2014) et régionales (2015) ; avec une Présidence de la République sans boussole, l’inouï matraquage fiscal du gouvernement Valls et un groupe parlementaire sans repère ni cohésion, le Parti Socialiste a été relégué au rang de quatrième parti de France. Il est à présent menacé d’extinction par ses dissensions internes voire son éclatement.
Au reste, le triomphe de François Fillon à la Primaire de la droite et du centre (20 et 27 novembre 2016) a amplifié cette crise à laquelle est venu s’agréger le renoncement prévisible et attendu de François Hollande (1er décembre 2016) aux présidentielles de 2017.
En fallait-il plus ? Ce fut la Primaire de « La Belle alliance populaire ». La sincérité de cette consultation est gravement entachée de soupçons de fraude sur le taux de participation, par les votes multiples et répétées d’un électeur, le score bricolé des candidats et la disparition des résultats de près de 400 bureaux de vote. Ces accusations sont lourdes. Et, outre celles de Jean-Luc Mélenchon évoquant une « fraude de masse », Rémi Lefebvre rappelle que la « culture de la fraude » est typique des socialistes français, ce dont nombre de militants peuvent témoigner. L’électorat socialiste n’en demandait pas tant.
Désormais, ce parti politique ne repose que sur le vice de ses cadres dirigeants, sur du « bois pourri » aurait dit Mably, après qu’ils aient renoncé à la vertu. Les militants de base, d’abord déconcertés par le mandat présidentiel, sont à présent désemparés. Il en va toujours ainsi lorsque menteries et coups fourrés deviennent la règle d’une organisation politique. L’extinction du Parti Radical, qui fut le premier parti constitué en France, et celle du Parti Communiste bolchévique, aujourd’hui réduit à sa portion congrue, l’attestent. Ainsi, les éléphanteaux, ces piètres épigones des Éléphants socialistes, ont-ils dilapidé le capital éthique et programmatique patiemment constitué par le Congrès d’Épinay appelé le Congrès d’unification des socialistes (11 – 13 juin 1971).
C’est que ce parti a été capturé par les médiocres – qui en contrôlent les instances dirigeantes -, et en tête desquels est Manuel Valls, dont l’un des objectifs affichés est de liquider les bases historiques du Congrès d’unification des socialistes. Sans le rappel de ces faits, nul ne peut comprendre l’action de sape conduite par François Hollande et surtout Manuel Valls et leurs sous-fifres. Or tel est le schéma que Benoît Hamon vient d’enrayer, avec son coup de maître réalisé lors du premier tour de la Primaire de « La Belle alliance populaire ».
Ce succès de Benoît Hamon a déclenché l’ire de Margitès, le surnom que nous avons donné à Manuel Valls. Il est sorti de ses gonds. Cependant, ni la métrique sarkozienne de son langage portée par une « incontinence médiatique », ni sa brutalité politique et ses froncements de sourcils, moins encore son prétendu bonapartisme de « gauche », pas même sa faible « jactance gallique » n’impressionnent.
L’équation de Margitès est si simpliste qu’elle étale tout son ridicule politique et son insoutenable manque de modestie : « ou moi, ou rien ». Il y a bien longtemps que, sous la Cinquième République et dans un parti de gauche, un homme politique n’avait osé affirmer un tel paradigme. Il « fait son personnage » eut dit Bossuet. Pauvre Manuel !
« Mourir de rire » disent les Jeunes. Alors, laissez-le donc gagner, parce que sans lui la France ne peut s’en sortir. C’est lui le sauveur de la République. Pauvre Manuel, les dieux lui sont tombés sur la tête. Margitès confond tout et veut tout faire. Cette pathologie politique est connue et porte un nom.
Mieux encore, il est devenu le « Joselito » de la vie nationale. Cette comparaison n’est pas anodine et ne renvoie pas à ses origines. Mais la ressemblance est frappante. Qui ne se souvient, en effet, de la saga du petit José Jiménez Fernandez, l’enfant à la voix d’or, ce rossignol des montagnes espagnoles, qui enflammait les salles de cinéma à la fin des années 50 ? Et voilà que, malgré ou en raison de ses déconvenues, notre Josélito national chante qu’il serait le seul à pouvoir battre François Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, etc., aux présidentielles de mai 2017. Rien que ça. La chanson est belle. Pauvre Josélito ! Chante encore : promets le contraire de ton bilan ! Nous sommes tous disposés à te croire. Nous sommes tous des niais ou alors des débonnaires. Mais auparavant, qu’il ne peste pas contre Emmanuel Macron qui l’a débordé sur sa droite et qu’il range également sa colère contre Benoît Hamon qui l’a doublé par la gauche. La chanson de Josélito n’est même pas le chant du Cygne, comme l’est, par exemple, « le revenu universel » de Benoît Hamon.
C’est que Manuel Valls a oublié ce grand avertissement d’Ernest Lavisse : « Le centre gauche n’a pas de sexe ». Et son entourage lui eut rendu service, s’il lui avait également rappelé que les grands mythes orientent également l’histoire, comme l’enseignent le controversé Georges Sorel qui note sa fonction mobilisatrice (grève générale), tout comme Amilcar Cabral, esprit puissant, qui confère au mythe (grand mensonge) un rôle déterminant dans l’histoire universelle. « Le revenu universel » proposé par Benoît Hamon est de cet ordre-là. C’est un mythe politique : une utopie qui projette un nouveau monde, une chose irréelle mais possible qui peut lever les masses. C’est ce que ne saisit pas et ne veut admettre Manuel Valls, qui ne mesure pas le désarroi des pauvres et des masses populaires qui voient dans le « revenu universel » une espérance ou un mieux-vivre.
Pauvre Manuel Valls. Il ne comprend rien à la France, au point qu’il ne parvient même plus à opposer des objections raisonnées aux belles fadaises de Benoît Hamon sur la laïcité et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’un Benoît Hamon qui scinde « l’esprit » de « la lettre » de ces deux textes majeurs.
En tous les cas, en observant et en écoutant les complaintes de notre Josélito national, il me vient à l’esprit les pages instructives d’une de mes lectures de jeunesse, L’idéologie allemande, dans laquelle Friedrich Engels et Karl Marx, posant les bases définitives de leur « matérialisme historique », réglaient leur compte avec les prétendus « socialistes vrais » d’Allemagne : Feuerbach, Bruno Bauer et Max Stirner.
J’ai mis en bonne mémoire ce passage pimenté où nos deux penseurs matérialistes raillent ceux-là qui croyaient pouvoir changer le monde par la seule force de leur esprit : « Naguère, écrivent-ils, un brave homme s’imaginait que, si les hommes se noyaient, c’est uniquement parce qu’ils étaient possédés par l’idée de la pesanteur. Qu’ils ôtent de la tête cette représentation, par exemple, en déclarant que c’était une représentation religieuse, superstitieuse, et les voilà désormais à l’abri de tout risque de noyade. Sa vie durant, il lutta contre cette illusion de la pesanteur dont toutes les statistiques lui montraient, par des preuves nombreuses et répétées, les conséquences pernicieuses… » . Ce brave homme, c’est notre Manuel Valls !
En effet, il lui a suffi de se débarrasser de l’idée de défaite et de la remplacer par celle de victoire, pour que ses déboires politiques personnels se transforment sponte sue en victoire collective pour la gauche. L’autosuggestion est même si grande que les débâcles sont célébrées comme une victoire et une fête inattendues. Par exemple, quand il perdra les élections régionales (2015) dans lesquelles il s’était engagé et que son parti deviendra le troisième parti de France, sans gêne aucune, Manuel Valls s’attribuera le fait que, grâce à lui, le Front National n’a pas remporté cette élection. Quelle chanson !
Engels et Marx se moquaient de ces « socialistes vrais » qui descendaient du ciel sur terre, au lieu de s’élever de la terre vers le ciel. Qui donc, des montagnes espagnoles, ramènera Manuel Valls en terre française ? Parce qu’il semble bien que même le Président de la République ne soit plus en mesure de le faire. À moins que, rusé comme un renard épuisé, s’il n’a jamais lu les considérations de Théophraste (successeur d’Aristote), François Hollande attende le moment favorable ou propice pour lui porter le « coup de Jarnac » ? Est-ce cela qu’il espère avec la carte Emmanuel Macron ? À moins que sur les ruines du Parti socialiste d’après le second tour de cette Primaire, il ne change d’avis et décide de redevenir candidat. Tout est possible, avec les socialistes français de notre époque, les « socialistes vrais » fustigés par Marx.
Pour lors, c’est en chantant à tue-tête que Manuel Valls fonce à vive allure droit dans le mur, et en klaxonnant pour que le mur (les difficultés des Français) s’écarte de son chemin. Tout est possible ! Avec lui, la gauche peut même être de droite, désormais. Il n’y a rien de « populaire », pas « alliance » et pas une idée qui soit « belle ».
Un parti politique se meurt. Si tout est possible, n’est pas Phoenix qui veut pour renaître de ses cendres.