Sources historiques du coup d’État de M. Valls contre F. Hollande
La fait a été vaillamment oublié, mais la crise entre Manuel Valls et François Hollande a un célèbre précédent sous la 5ème République : la tension entre Charles de Gaulle, président de la République, et Georges Pompidou, son premier ministre, et qui aboutira au départ du premier. Sans le rappel rapide de cet arrière-plan historique, nul ne peut saisir la démarche « controversée » et décriée de Manuel Valls qui, sans doute s’en est inspiré, pour obliger F. Hollande à ne pas se représenter en mai 2017 pour un second mandat.
Rappel historique : Georges Pompidou est « découvert » par Charles de Gaulle en 1944, qui l’intègre à son cabinet et assure sa promotion, jusqu’à en faire son premier ministre du 14 avril 1962 au 10 juillet 1968.
Cependant, la gestion délicate de « Mai 68 » verra naître entre les deux hommes une tension qui ne cessera de grandir. En effet, si Charles de Gaulle était pour une résolution de la crise par voie référendaire (référendum sur l’université), Georges Pompidou sera partisan d’une solution négociée avec les syndicats (Accords de Grenelle) et, dans le même temps, pour une dissolution de l’Assemblée nationale.
Mais les derniers développements de « Mai 68 » verront la crise se complexifier. En effet la crise est à son paroxysme, quand survient la fameuse éclipse (disparition) de Charles de Gaulle qui, tout le 29 mai, se rend en hélicoptère à Baden-Baden (Allemagne) afin d’y rencontrer le général Jacques Massu, sans prendre cependant la précaution constitutionnelle d’en informer son Premier ministre. Ce faisant, par cette disparition soudaine et secrète, il rompait l’article 5 de la Constitution qui dispose que « Le Président de la République veille au respect de la Constitution [… et] assure la continuité de l’État ». Outre cette première violation, Charles de Gaulle en commettait une seconde, tout aussi grave, en foulant au pied les prérogatives de son Premier ministre en matière de Défense nationale. Sans doute, pour justifier ce déplacement inexpliqué et caché, Charles de Gaulle a-t-il pris appui (mais sans le dire) sur l’article 15 de la Constitution selon lequel « le Président est le chef des armées ». Mais, en cela même, il en oubliait l’article 21 disposant que « Le Premier ministre […] est le responsable des armées ».
Cette double violation conduira G. Pompidou à lui présenter sa démission, dès le retour de Charles de Gaulle à Paris le lendemain, soit le 30 mai 1968, au motif d’un désaveu de fait de ses prérogatives constitutionnelles. Elle sera refusée. Ce fut la première offre de démission.
Un mois plus tard, Georges Pompidou remportera les législatives anticipées des 23 et 30 juin 1968, à une très large majorité. En effet, son parti gaulliste, l’Union pour la défense de la République (UDR) obtiendra 294 (144 dès le premier tour) sur 485 sièges et, avec ses alliés (61 Républicains indépendants et 12 centristes) un total de 367 sièges. Le lendemain de ces résultats, comme de coutume, G. Pompidou présentera la démission de son gouvernement. Elle sera dans un premier temps rejetée par le président de la République Charles de Gaulle qui, quelques jours plus tard, l’acceptera. La primature de Georges Pompidou s’achèvera le 10 juillet 1968.
Ainsi, le 30 mai et le 1er juillet 1968, Georges Pompidou a-t-il engagé deux démissions. La seconde sera acceptée. Ce fut, pourrait-on dire, un « chantage » à la démission.
En tous les cas, six mois plus tard, en janvier 1969, à la faveur d’un voyage en Italie, répondant à une question sur son avenir politique, Georges Pompidou lancera ce qui vaudra comme son « Appel de Rome » dans lequel il affirmera sa candidature lors des prochaines présidentielles, se posant comme le grand rival de son ex-mentor Charles de Gaulle. Cette prise de position comptera pour beaucoup dans l’échec du référendum qui mettra un terme à la carrière politique de Charles de Gaulle. Coup de poignard !
Il est alors étonnant que les politologues et les journalistes politiques n’aient pas vu la similitude du lien ou l’homologie de structures entre l’action de Georges Pompidou contre Charles de Gaulle et celle Manuel Valls contre François Hollande. Manuel Valls, ex-premier ministre et désormais candidat déclaré à la présidentielle, s’est manifestement inspiré de Georges Pompidou, son illustre prédécesseur de droite.
Les propos effarouchés de certains « moralistes » sur la trahison de Manuel Valls ne sont pas justifiés. Car il y a bien une tradition française de premiers ministres qui poussent à la porte les Présidents de la République. Après Pompidou, nous eûmes Jacques Chirac contre Giscard d’Estaing et maintenant Valls contre Hollande. Et cette éviction ne tient pas à la « mollesse » de François Hollande mais bien à la tradition dont nous parlons et qui prend sa source au cœur même de la Constitution de la 5ème République, comme nous l’avons vu.
En vérité, nous sommes au cœur d’un coup d’État, au sens que Gabriel Naudé donne à cette notion dans ses Considérations politiques sur les coups d’état. Mais, à la différence de celui de Georges Pompidou, le « coup fourré » de Manuel Valls, son coup de force, est d’autant plus stupéfiant qu’il n’a pas de base constitutionnelle ni ne s’appuie sur un succès électoral, contrairement à celui de Georges Pompidou. Ce coup d’État, désormais soutenu par Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, pour « empêcher » un Président de la République de se représenter ou pour « congédier » le chef de l’État, repose sur un double ressort. D’une part, la certitude de la défaite de François Hollande lors des prochaines présidentielles (impopularité) ; ce qui n’est pas faux. D’autre part, sur la conviction intime de se croire le petit-Jésus, le sauveur, des Socialistes. Ce qui n’est pas vrai.
Cependant, comme l’a dit Hegel et que reprendra Marx dans son 18 Brumaire, « l’histoire ne se répète pas, ou alors comme une farce » après avoir été une tragédie. C’est ce à quoi Manuel Valls s’expose, en tentant de répéter l’exploit pompidolien. S’il est parvenu à écarter François Hollande, par le « chantage » de ses démissions, il n’est pas si sûr qu’il dépasse le stade de la Primaire socialiste. Et s’il le dépassait, alors il offrirait un boulevard à Marine Le Pen et à François Fillon.