Arbre et Temps
Poïétique du Souvenir et itinéraire
À Pustine, toujours !
J’irai à Beauregard admirer cet été,
L’arbre qui aveugle de tristesse,
Avant qu’il ne promette aux ailes du vent
Son éphémère de feuilles mortes
Et ne tende sur le sol mûrit au soleil
Son annuel linceul de soie jaune et pourpre.
Invoquant Abéona, d’un pas serein
Je traverserai le vert domanial de Saint-germain
Où filent paisiblement de poétiques chemins
Qui plongent le passant dans l’extase des Œuvres.
Ô Virgile, heureux Octavien,
Des Bucoliques, je n’oublie rien.
J’entends encore l’écho du Philomèle d’Andes
À ma joie profonde,
Et l’oiseau au chant d’horloge
Qui engloutit les espérances
Comme dans les arbres les Juifs humiliés
Et je me rappelle, ma peau estampée.
Ô Rilke, l’Être n’a que les douleurs qu’il peut !
Dans ma marche oculaire
Lieux de mémoire solaire
Mes yeux se souviennent bien
De l’arbre-veilleur, l’amandier de Jérémie,
Mais aussi du frêne inclinant sa fière chevelure
Au-dessus du jeune caroubier
Comme font alliance intense du Regard
Et des branches ceux qui s’aiment.
Tel Zarathoustra, je repense au généreux amour d’un cep de vigne
Étreignant, de toutes parts, un vieil arbre tordu et noueux.
Ce qui frappe toutefois c’est bien cela :
Dans un chêne ancien
Consolant un saule pleureur
Murmure encore Jupiter.
Là-bas, lorsque incline le regard
Une foule de platanes offre un couvert,
En rappel des amants de Gortyne.
Et le bois, consacré, étire sa verte paix
Qui orne la Terre,
Alors qu’un enivrant bouquet monte mêlé de terre.
Mais où donc se tiennent les antiques présences
Écho, Féronia, Pan et Bromius le frémissant ?
Leur silence agite l’athéisme des bois.
Plus loin, là où s’échouent ma grande armée d’arbres,
Là où, lourd d’un mûrissant albédo,
Et tel un lieu élu du dieu des Asiles,
Mais semblable à la paupière qui cueille le jour,
Une clairière, fermement, convoque le firmament
Dans un trait dense de lumière.
Et en suspend, mais lancé de haut,
Éclatant, signe céleste aux hommes,
Ô Ether joyeux !
Un sourire de couleurs,
Demi-cercle de gloire, courbe tracée par le regard du Très-Haut,
Ou son baiser d’arc au sol. L’écharpe d’Iris.
Mais également, le souvenir ailé d’un héros
À l’ombre remuante d’un figuier, le Ruminal.
Ô Romulus !
Me donnant force et pensée,
De leur saveur divine et généreuse,
Les fruits mûrs s’abandonnent à ma bouche
Si grande ouverte aux sueurs fines du ciel.
Et m’abreuvant, je médite :
Pourquoi jouent aux noix les écureuils furtifs ?
Quand bouleaux songeurs, hêtres pensifs et
Érables dormeurs s’enlacent et avancent
À l’appel de mes pas champêtres
Et que tous, me prêtant leur ombre, s’ordonnent en Forêt et Être.
Tous, riches de pudeur, se souviennent du récit de Yotam
Et aucun d’eux ne daigne régner sur les autres.
Mais quel est donc cet essor dense et sombre ?
Il m’est doux de savourer la promesse de miel,
Qu’un vol d’abeilles donne en guise de réponse.
Mais, par-delà la lisière,
Ô Euïos Lyéus Bacchus,
Sont mes prunus.
Leurs boucles aux teintes d’un vin suranné
À hauteur de front,
En un signe de bénédiction
M’accueillent en hôte.
Rien n’égale, pourtant, l’amour des Proches,
La fraternité triomphante des Dioscures,
Telle celle de Jean-Baptiste, Pustine et Pierre.
Derrière, élégants et majestueux,
Voyez donc leur noble salut !
Surgissent en file indienne
Les peupliers d’Italie
Ces préférés d’Hercule.
Ils accompagnent la route nonchalante
Où à grand pas s’enfuit le Destin,
Ce Fils aîné du Temps,
À la récade ultime tant redoutée.
Et sous sa course, que devienne
Les jours révolus ?
Ô Nature ! mon amie (ma mie)
Robe, couronne de fleurs et pampres.
Loin de ton ombre,
N’ai-je pas grandi
Pour y mieux reposer ?
Mais aussi mère des Parques
Appelle et fais venir le Temps.
Aux êtres et aux choses
Il doit ravir leur stance.
À tous, le Temps est fidèle !
La conscience,
Fille unique de l’Horizon,
Et qui mûrit telles les faveurs de la vigne
Au Destin est l’égal.
C’est pourquoi nous marchons
Et décidons de vivre en commun.
Car l’Épreuve nous fait Homme
Puis nous rend humain.
Aussi avons-nous les dieux
Que nous nous créons.
Même tard, cependant,
Peut encore exister l’Unique.
Le labour nous a fait don des dieux.
Mais où vont-ils
Quand d’abord parmi nous
Ils dé-existent ensuite ?
En vue, prenant cette faiblesse
Médite notre force.
Toutefois, plan des Moires,
Leur allié le plus sûr
L’Âge, l’allée vers la Mort,
Où aux portes ils s’impatientent.
Alors, poursuivant ma promenade solitaire
Je longerai le haut mur de vieilles pierres
Qui isole l’enclos des Absences étendues,
Et que domine un large deuil de hautes croix,
Parmi d’imposantes masses d’ifs architecturées
Là où, en face, du libre et du renaître
Poussent sauvagement des coquelicots
Dont la tisane détend et favorise le sommeil.
Je le longerai, oui, jusqu’au sommet où la pente se courbe
Vers l’Arbre qui depuis toujours m’attend.
Ô Tilleul de tristesse !
Ma tilia cordata, autrefois onctueux
Mais aujourd’hui, pareille à Cyparisse.
Comme un don du bien virginal de mon âme,
Au lourd nadir de ta peine,
Je t’apporterai le zénith de ma joie profonde,
Avant que ne s’épanche, lourde de pourpre,
Les flots de ta sève automnale.
Alors, criant grâce à Adéona,
Tes compagnons de Saint-germain poussant des cris de joie,
En une formidable clameur d’applaudissements,
Te ramèneront au lieu de leur séjour
Au sein de cette belle Société d’arbres.
Car, c’est dans la Nature seule
Que le Temps ressuscite.