La gauche sous Valls 2 : « Les Effets du bon et du mauvais gouvernement »
Au tableau des malheurs publics, il ne manquait plus que cela : la mort du jeune Rémi Fraisse, par éclat d’une grenade offensive TNT, lors de la manifestation contre le projet du barrage de Sivens, à Lisle sur Tarn, près de Gaillac. « Drame », selon le gouvernement de Manuel Valls. « Bavure », d’après les opposants au projet. Drame ou bavure ? Sans doute l’un et l’autre, et, en tous les cas, l’un par l’autre ; car c’est la bavure qui fait le drame. Ou inversement.
L’origine et la gestion courante de ce projet (vieux de 30 ans) sont entachées de spéculation financière, au détriment de la préservation de la nature. En effet, cette retenue d’eau (48 hectares pour 1,5 millions de m3) détruira une partie de la forêt de Sivens, en s’étendant sur des Espaces Boisés Classés (EBC) et une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). On ne peut comprendre l’acharnement des défenseurs de la nature, sans le rappel de cette « dévastation », au sens que Heidegger prête à cette notion dans sa célèbre conférence La Question de la Technique.
Ce drame-bavure vient définitivement assombrir l’action du gouvernement Valls 2. Car, qui peut donc comprendre qu’un gouvernement de gauche se répande en mots affectueux à l’endroit du patronat et de la finance, quand, dans le même temps, il n’a aucun mot pour les défenseurs de la nature qu’il réprime si durement ? Pourquoi cette inouïe absence de concertation avec son camp politique ? L’acte est donc d’une extrême gravité. Il s’est compliqué d’une mort inadmissible. C’est un mauvais signal de plus, contre son propre camp électoral, comme l’oiseau qui détruit ses propres œufs.
Après huit mois de pouvoir, le gouvernement Vall 2 n’a rien inversé. Plus inquiétant, ce drame-bavure vient opacifier et tendre plus encore une situation déjà bien difficile : l’ensemble de la gauche est décomposée et désunie. S’il n’y prend garde, François Hollande risque d’être le Jéroboam de la gauche. Au Parti Socialiste (PS), il n’est rien de plus clair que la crise des adhésions, la chute des cotisations qui lui est consécutive, et la persistante défection des militants, pour signaler que la voie choisie par le Premier ministre est mauvaise. La droite, désagrégée, est perdue.La droite (UMP – UDI) et la gauche (PS – EELV – FG) offrent un spectacle inouï. Et ni le Front de Gauche (FG) ni le Nouveau Parti Anti Capitaliste (NPA), pas même Europe Écologie Les Verts (EELV) ne tirent avantage de cette situation. Le grand bénéficiaire est le Front National – Bleu Marine. Jamais de toute l’histoire de la Vème République, le grand patronat n’aura été aussi dédaigneux, arrogant, et n’aura eu dans son viseur que la réduction des acquis sociaux. Un signe ne trompe pas : chaque déclaration d’amour aux entreprises faite par le Premier ministre Manuel Valls est immédiatement suivie d’un délire du patron du Medef qui, sous ses airs amusés, se livre à de la provocation sociale. La production, l’innovation et les investissements ne semblent plus être ses priorités. Les syndicats sont sans force. La dette publique a atteint 100% du PIB. Les déficits des comptes publics sont à plus de 4%. La croissance, d’abord négative, s’est abimée en récession constante. Le chômage croît régulièrement. Les familles traditionnelles ont la conviction d’être une cible permanente du gouvernement. La précarité des ménages enfle. Les expulsions locatives sont en recrudescence. Dans un rapport alarmant, mais qui ne fait pas de bruit, l’Unicef vient d’indiquer que, de tous les grands pays, la France est celui où la pauvreté des enfants croît le plus. La délinquance urbaine progresse de façon continue. L’intranquillité est le lot quotidien des citoyens. Et il suffit de peu, pour que les quartiers sensibles s’enflamment. Le communautarisme s’est quasiment substitué à la nation. Des attentats terroristes sont annoncés. Nos armées piétinent au Mali et les budgets alloués aux efforts de guerre sont intenables. Les scandales politiques sont hebdomadaires. Les intellectuels ont déserté les partis politiques, laissant libre le champ idéologique aux aruspices : la morgue zemmourienne et la balourdise dieudonniste. C’est le triomphe tardif mais attendu de Jean-Marie Le Pen. La pensée s’est retirée dans une obscure retraite. L’École d’Athènes peint par Raphaël à la gloire du Savoir est désormais sans force. C’est à présent le temps des opinions. Tout le monde opine, jour et nuit, du crépuscule du matin jusqu’au salut déclinant du vieux soleil du soir. Ainsi, les instituts de sondage, les journalistes-éditorialistes et les médiocres des partis politiques ont-ils remplacé la communauté des sciences sociales. Cette crise de l’intelligence est manifeste avec la confusion qui règne dans le monde des idées, des concepts et des catégories de la pensée. Par exemple, l’universel est confondu avec le général. Démonstration : les impôts sont universels (Déclaration obligatoire des revenus) et nul ne doit s’y soustraire. Et l’imposition, elle, est générale, précisément parce qu’elle donne lieu à un « avis d’imposition » ou à un « avis de non-imposition », selon les niveaux de revenus et l’importance du patrimoine. De même, les Allocations familiales (segment des Prestations familiales) qui étaient jusque-là « universelles », parce que conçues comme un droit absolu de l’enfant, sont-elles devenues « générales » puisque envisagées selon les revenus des parents. Ce type de glissement, de l’universel au général, est symptomatique de la crise de la pensée à gauche. La gauche ne pense plus. Formidable contre-sens historique, elle s’obstine à attaquer l’universel. Pauvre Jaurès !
Face à ce triste tableau, le Premier ministre devrait apprendre à s’adresser à l’électorat et aux forces de gauche. En effet, que gagne-t-il à interpréter les résistances des Frondeurs socialistes à un complexe de castration dû à un « surmoi marxiste » ? D’autant que l’affirmer, c’est, d’une part, attester qu’il ne connaît pas Marx, et, d’autre part, s’adonner à de la psychanalyse de pacotille. Jaurès, lui, a été un formidable interprète de Marx. Pour s’en convaincre, il suffit de lire sa célèbre Histoire socialiste de la Révolution française, qui est un monument intellectuel de gauche. La raillerie est un trait français, selon Isabeau. Alors, rions un peu, en faisant de la psychanalyse à deux sous : le « Surmoi » qui intimide tant le « Ça » de Manuel Valls a un nom : le patronat, qui s’apparente à la figure du père castrateur.
Mais où va donc le grand pays ? Que la gauche elle-même travaille à la déliquescence de la « substance éthique » qui fonde tout État, là est le péril pour la République.
Au fond, il ne s’agit pas de savoir si le gouvernement a raison de réduire les déficits mais où conduit cette politique économique. La réponse est simple : au Front National. Jamais la gauche n’avait autant œuvré pour l’extrême-droite.
Il y a bien longtemps que nous le disons : le « fiscalisme » a transformé les républicains (promoteurs de la chose publique) en publicains (collecteurs d’impôts). Il faut inverser cette tendance.
La peinture pourrait-elle inspirer les politiques ? En tous les cas, Daniel Arasse formule une solide et belle vérité : La peinture est une pensée non verbale. Si bien que, souvent, l’étude des tableaux enseigne bien mieux que nombre de discours.
À cet égard, le temps est enfin venu, pour la gauche gouvernementale et législative, de regarder et de s’inspirer de certaines œuvres d’Ambrogio Lorenzetti, en particulier les tableaux commandées par l’emblématique République de Sienne (Italie), réalisées entre 1338 et 1340, et dont les titres à eux seuls sont une suggestion pour tout républicain : l’allégorie du bon gouvernement ; la fresque des effets du bon gouvernement sur la ville ; la fresque du bon gouvernement sur les campagnes environnantes ; l’allégorie du mauvais gouvernement ; la fresque des effets du mauvais gouvernement sur la ville et la fresque du mauvais gouvernement sur les campagnes environnantes.
Il suffit de les contempler, mieux, de les étudier, pour que saute aux yeux le fait que le gouvernement Valls 2 n’a pas emprunté la bonne voie. Peut-il changer d’orientation ? Pour cela, il ne serait pas inutile que manuel Valls applique les techniques picturales de la « perspective », lui le fils de Xavier Valls, artiste-peintre catalan. Car, jusqu’ici, nul ne sait quel est le « point de distance » du Premier ministre qui, manquant de clairvoyance, ne peut fixer sa « ligne d’horizon ». Et qui peut dire quel est son « point de fuite principal » et ses « lignes de fuite » ? Force est de constater, Manuel Valls n’a pas encore pris le soin d’établir le « cadre » de son action. C’est pourquoi la France est gouvernée par à-coups et improvisation.
Au reste, si le Premier ministre ne sait ni ne veut se plier à la « perspective », alors il reviendra au Président de la République d’appeler à la formation d’un autre gouvernement qui, lui, devrait être de gauche, si l’on veut éviter l’imminence frontiste. François Hollande devrait s’inspirer de François Mitterrand (unité à gauche, encore possible), plutôt que de Michel Rocard (unité au centre, quasi impossible).
Sinon, imminence frontiste : Là où naît le danger, affirme Hölderlin, croît aussi ce qui sauve. Plus claire encore que la peinture, la poésie sait dire les pensées. René Char n’a pas tort de deviser ainsi : À chaque effondrement de preuves, le poète répond par une salve d’avenir.